On m’a racontée qu’à âge et poids égaux, et pour une même quantité d’alcool, l’alcoolémie de la femme est supérieure à celle de l’homme.
Paraît même que l’enzyme impliquée dans le métabolisme de l’alcool présente une activité moindre chez la femme, ce qui fait que lors d’une barathon party avec mes potes, j’éliminerai moins vite que ces derniers.
Troublée par cette injustice de la nature, j’ai testé cette expérience hors du commun, celle de contredire la science, trop sexiste à mon gôut.
Je me souviens des trois premiers verres, ils m’ont fait décrocher un de ces
sourires que même le serveur du bar sans dents a cru que c’était pour lui.
Première bouteille, j’ai chaud, je ris, je sors les punchlines de l’année et mes potes adorent. Mon public est chaud, ça tombe bien, moi aussi.
Je commence à refaire le monde en partant de la création de l’homme, enchaînant sur ses défauts pour disserter plus tard sur la complexité des rapports humains sans oublier ceux inhérents aux sexes opposés.
Parlons-en du sexe, j’expose d’autres théories du Kamasutra, ouais, moi qui ait une vie sexuelle désertique depuis des lustres. Mais on s’en fout, la troisième bouteille arrive.
J’entends la musique après tous mes exposés sur les crises existentielles de l’individu.
Bordel, c’est une musique que je connais, que peu de gens connaissent, et bim, petit moment de nostalgie qui doit s’afficher sur mon visage. Je sens le regard de mes confrères se poser sur moi, septique. Est ce qu’après la troisième bouteille, et la crise d’euphorie, elle va se mettre à chialer et raconter sa vie, ou est ce qu’elle va montrer son cul au barman immonde qui la reluque depuis le début de la soirée ?
Eh ben non, la chanson même si elle lui tord un peu les tripes, elle va la chanter à tue-tête, debout sur une chaise, version clip karaoké des années 80, avec le flou et le vent.
«Twelve p.m. and my dusty telephone rings,
Heavy head up from my pillow, who could it be ?
I hope it’s you »
Je descends de ma chaise, Brandon Boyd est sorti de mon corps pour ce soir.
Bref, le ridicule m’a sauvée, personne n’a questionné ma mine déconfite d’une micro minute alors que j’aurais envisagé d’appeler la seule personne qui aurait connu la chanson.
Personne à qui j’aurais certainement laissé un truc inaudible sur son répondeur tellement les syllabes ont du mal à sortir de ma bouche dans le bon ordre.
On danse, on m’écrase les pieds, ah oui, j’ai perdu mes chaussures.
La musique s’accélère, j’ai du mal à suivre le rythme ou alors c’est simplement mes mouvements qui commencent à se saccader.
Je m’assois tout près de mon meilleur pote et là, reminute philosophique, on se dit qu’on s’aime, qu’on sera toujours là l’un pour l’autre comme frère et sœur, sauf que j’ai oublié ce que c’est, vu l’état de ma famille. Mais c’est pas grave, on se promet.
On parle de nos futurs tatouages, j’ai encore une subite envie de me faire tatouer.
Sauf qu’à cet instant, y aurait un tatoueur dans le bar, je pourrais ressortir avec une baleine sur le front.
J’ai plus mal ni dans mon cerveau, ni dans mes cervicales, ni dans mon cœur, je viens de vider la quatrième bouteille.
La phase hip-hop arrive, je sais que je peux danser easy et mettre le feu avec mes amis en train de se dévêtir façon chippendales.
La machine est en route, la nuit est à nous, on est invincibles.
Je sens que la musique et mes déhanchements fusionnent et j’aperçois dans le pénombre un mec plutôt pas mal qui me sourit.
Je fais mine d’aller aux toilettes pour combattre ma myopie et m’approcher, voir si mes problèmes d’alcool et de vue n’ont pas enjolivé la situation.
Finalement non, le bellâtre m’attend même pour faire la conversation alors que je me tiens au mur pour ne pas paraître complètement bourrée.
La draguouille vaut le jeu mais mes potes me sollicitent sur la piste alors j’abandonne la partie.
5 bouteilles, 5 heures du mat’, le serveur édenté me demande de quitter le bar et de récupérer mes chaussures que j’avais visiblement et délibérément (selon lui) accroché au lustre hyper classe genre Interior’s.
Mon prétendant revient à la charge à la sortie en m’invitant pour un dernier verre parce que c’est vrai, la déshydratation me guette presque cette nuit.
La nuit est magnifique, propice au genre de fin de soirée tendre et torride à la fois.
Mon taux d’alcoolémie est d’environ 2,80 dans chaque bras, un de mes potes vient de vomir à dix centimètres d’un de mes pieds, toujours sans pompes. Plus loin, un autre s’embrouille avec un gamin qui ne tient plus debout pour une histoire de priorité de passage de porte de sortie du bar.
Ouais, le décor est moins favorable d’un coup.
Alors en grande dame élégante et défoncée que je suis, je réponds avec ma voix la plus séductrice et glamour que l’alcool sait me donner.
« Après le verre, on baise ? »
Le mec parait désarmé, bizarre.
Alors j’enchaîne devant l’assemblée dégoulinante de rhum « ben oui, j’ai pas baisé depuis des mois, c’est facile. Mais là ce soir, je pense que je peux voler mais pas m’envoyer en l’air. Et puis j’en ai plein le cul. Tu veux que je te dise, tu vas me donner ton numéro au cas où, je vais le mettre au fond de ma poche avec tous mes tickets de carte bleue qui vont me tuer demain. Et puis tu vas te dire bah, si elle a pas pris son pied depuis des lustres, elle va rappeler. Eh ben noooon monsieur, parce que même si t’as une belle gueule, ben ce sera toujours pas toi que j’aurais envie d’appeler, voilà. Je suis schizophrène et psychopathe et si tu me crois pas tant pis. Puis si tu crois que je suis la femme de ta vie, ben tant pis pour ma gueule, j’aurais loupé la chance de ma life. Adieu. »
Je tourne les talons, sans même lui laisser le droit de réponse, fière de ma connerie, en parfaite salope, qui cela dit en passant, si j’avais été un mâle, je l’aurais bien giflée.
On se casse bredouilles mais bras dessus bras dessous avec mes amis géniaux qui s’amusent au combien de ma mascarade et qui pensent que ce cinéma n’avait d’autre but que de les faire marrer.
Eh ben non, parce que même plus imbibée que jamais, y a des trucs qui sont toujours là, coincés dans le fin fond de mes neurones.
On marche, putain que la route du retour est longue, ils ont du mettre en place une déviation pendant notre passage au bar.
On arrive enfin, je m’allonge au sol sur la terrasse de mes amis, incapable d’aller jusqu’au canap’ qui m’attend.
On m’offre deux lattes de weed, parfait, je pense que là, je peux faire du lap dance le long de l’étendoir à linge.
Doucement, les yeux fermés, ivre morte, je sens les mots se fondre dans la nuit « les gars, je vous kiffe, vraiment, la vie c’est trop bon mais quand même c’est une sacrée pute avec moi. Là faut absolument que je passe un coup de fil à quelqu’un qui me manque. »
J’ignore où j’ai pu laissé mon portable, un de mes rats de laboratoire m’apporte donc une couverture sur la terrasse, élue comme terrain de gisement, en me souhaitant bonne nuit.
Ainsi s’achève cette investigation nocturne, cette plus belle caisse de l’été, le spectacle s’arrêtera donc sur ce plus bel effet de ma féminité.
Ce test m’a permis de conclure que cette étude scientifique face à la consommation me semble une sombre connerie.
En effet, à identique absorption, je n’ai pas fait l’objet de nausées sur chaussée, pas provoqué de bagarre sans raison, pas fait de strip-tease public.
Cette enquête m’aura valu simplement une perte de chaussures, un mec qui ne verra jamais la couleur de mes draps, des remontées acides du passé avec un bonus d’échanges forts en émotion avec mes confrères.
Ces statistiques bidons n’entretiennent donc que cette foutaise d’inégalité homme/femme que je conteste fortement.
Je tiens aussi à remercier mes cobayes de soirée pour m’avoir soutenu dans ces travaux pratiques et certainement évité quelques conneries alcoolisées dont je ne me souviendrai plus et aussi l’alcool, sans qui rien n’aurait été possible à réaliser ce soir-là.
Little Miss Madmind.
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