« Creusons un peu du côté de votre mère… » Marie Jeanne

Pauvre Martin, pauvre misère, creuse la terre, creuse… le cerveau ! Georges doit se retourner dans sa tombe. Maintenant, Martin doit s’adapter à la modernité. Martin (désormais MartIn à prononcer à l’anglaise) doit être rapide et performant. MartIn se doit d’être formé. MartIn sera formaté.

Dans notre cher pays où l’artisanat est la première entreprise, un décret d’avril 2000, oblige les fossoyeurs à obtenir un diplôme national avec une formation en psychologie.


Qu’une révolution ! Nous imaginons facilement que si Marie-Antoinette avait pu raconter sa vie d’enfant expatriée à son bourreau, elle aurait accepté la guillotine avec une joie hystérique avant de sauter elle-même sous la lame. Sérieusement, ne pas emporter ses traumatismes d’enfance dans l’outre-tombe et pouvoir ENFIN passer à autre chose, n’est-ce pas mirifique ?

C’est Dieu qui va être ravi. Fini pour lui le temps où il poirotait, dans la file d’attente de Freud, derrière toutes ces pseudo rock-star mortes à 27 ans d’overdose qui expriment, après leur trépas, le désir de comprendre d’où vient leur mal-être ! Celui qui a créé toute chose ne contrôle plus rien. C’est la merde partout ! Il est un mauvais Père. Il a besoin d’en parler… sauf que Sigmund est occupé. Comme les psy sur terre sont trop chers, les pauvres gens n’y ont pas accès alors ils se bousculent aux portes du paradis. Etre ici pour l’éternité, c’est le temps nécessaire pour une psychanalyse réussie.

Grâce au nouveau diplôme de fossoyeur, tous les creux du compte en banque pourront résoudre leurs problèmes existentiels avant de se faire bouffer par les vers, assez rapidement car ils ne pourront même pas s’offrir le luxe d’une belle caisse en bois pour le grand voyage.

Un enterrement c’est quand même le dernier traumatisme que nous ayons à subir. Ça mérite une bonne catharsis en virant l’arme à gauche. Et hop ! Destruction de la file d’attente au cumulonimbus psychanalytique. Vas-y Dieu, tu peux t’exprimer sur le vide de ton existence, sans plus attendre !

A part contenter un Dieu (qui se questionne lui-même sur l’être ou ne pas être) à qui donc sert cette loi ? Une fois de plus, cette norme vise les anormaux. Pourquoi déléguer les tâches simples à ceux qui ont l’esprit qui leur correspond alors qu’on peut formater des gens… heu les former pour réfléchir à l’impact, que représente la perforation du sol, pour celui qui va manger les pissenlits par la racine. Autrefois, l’idiot du village trouvait son utilité publique dans les menues besognes du quotidien, par exemple en creusant un trou au cimetière pour y déposer un cadavre. Aujourd’hui, avec la frénésie des diplômes inutiles et des surqualifications pour de simples postes, le gentil fou se retrouve enfermé dans une structure où ses sympathiques éducateurs vont réfléchir pour lui… pardon… avec lui à un projet visant à le socialiser et à le sortir de l’institution. Où est passée l’école de la vie ?

Etre psychologue quand on travaille avec des morts c’est important. Il est vrai que la mort est quelque chose de tellement rare et de suffisamment hors norme que ça mérite bien d’en discuter. Après tout, c’est pas comme si on allait tous y passer !

« Pourquoi lui ?... Cela n’aurait jamais dû arriver… Elle ne méritait pas ça. » entend Martin qui dans la simplicité qui le caractérise demande à son tour : « Existe-t-il quelqu’un qui mérite de mourir ? ».

Ce n’est pas très psychologue ça Martin, attention ! Vas passer ton diplôme et apprends à analyser le choix des mots des gens à cet instant. C’est difficile pour toi Martin mais ne t’en fais pas, si tu te rates, un jeune fils de riche ayant fait psycho pour répondre aux attentes familiales viendra prendre ta place avec la joie de pouvoir emmerder ses parents en pratiquant une profession qui déshonorera son patronyme.

Finalement, fossoyeur et psychologue c’est le même combat : ils creusent toujours pour mettre en évidence ce qu’on n’est pas prêt à accepter.

Marie Jeanne.