vendredi 13 décembre 2013

Ne pleure pas Pierre Rabhi. Mary Poppins.

Je déteste qu’on utilise mes penseurs préférés à mauvais escient. Je déteste qu’on touche à Montaigne. Je déteste que les politiques aient utilisé la mort d’Albert Jacquard pour se donner une image d’humaniste cool, alors que jamais aucun d’entre eux n’a repris son concept de décroissance positive. Bien trop occupés à relancer la consommation. Et surtout, je déteste qu’on altère, qu’on frelate, qu’on défigure un propos pour le vomir en un nouveau fascisme aveugle et régressif. Parlons de Pierre Rabhi.


Il y a une cinquantaine d’années, cet homme a eu la présomption d’intelligence de s’exiler sur un âpre petit bout de terre ardéchoise pour y devenir paysan, alors que la France s’avachissait mollement dans un consumérisme insouciant. Pionnier de l’agroécologie, décroissant éclairé, il garde assez de lucidité pour dénoncer les dérives de l’industrie du bio, ce dont feraient bien de s’inspirer tous ces petits biobios décérébrés qui se jettent sur les tomates de leur Biocoop en plein décembre.  Je passerai sous silence la terreur que m’inspire le grand bain médiatique dans lequel on le noie, et surtout l’ignominie de ceux qui l’applaudissent trop fort avant de retourner ne rien changer à leur petit confort quotidien en évitant soigneusement de se remettre en question.

Même si je n’adhère pas à l’intégralité de sa pensée, j’admire allègrement Pierre Rabhi, et pourtant, je n’assisterai jamais à ses conférences. D’abord parce que ses livres sont tout à fait lisibles. Mais surtout, je risquerais d’y rencontrer son public, très généralement constitué de cette race nouvelle de terroristes qui radicalisent son discours, le retaillent, l’élaguent sur les côtés jusqu’à le faire entrer dans leur petite boîte de conscience, avant de le recracher tout froid, décrédibilisé.

Je ne fréquente pas ces gens-là, ils me font peur. Ils me couperont les mains si l’envie me prenait de me faire couler un bain. Ils m’arracheront la langue si par mégarde j’avalais un Ferrero. Selon eux, leur « philosophie » mène au bonheur, et j’ai bien peur que le moindre tout petit symptôme dépressif ne justifie bientôt la réouverture des goulags. Pourtant, à aucun moment, je ne me suis sentie menacée par le discours de Rabhi. Au contraire, il me rassure. Lui-même refuse d’être un gourou qui embrigaderait les foules. Visiblement, ceux qui l’adulent ne l’entendent pas complètement.

En les regardant s’agiter dans l’écran placide de mon portable, je finis par m’interroger sur l’incapacité de l’Homme à vivre sans doctrine, sans principe, sans évangile. Une fois délivré de l’embrigadement de toutes sortes de religions, il semble réconfortant de se soumettre à de nouvelles tyrannies, de se contraindre à de nouvelles lois insipides. Afin de me protéger de leurs infamies, j’ai décidé de modifier ma fréquence radio, et ainsi, plus aucun mot se terminant en –isme ne passe par mes oreilles. Anarchisme, racisme, antiracisme, féminisme, écologisme, communisme, bouddhisme, militantisme, arrêtez de me parler, je ne vous entends plus. Je préfère avoir peur du noir plutôt que de m’éclairer à vos lanternes. N’essayer de régler un problème qu’en regardant par un petit bout de lorgnette me parait plus dangereux que de ne pas le régler du tout. Je déteste cette monogamie de la pensée. Je voulais juste écouter Pierre Rabhi.

Mary Poppins

5 commentaires:

  1. Je souscris à tes propos et me retrouve dans cet écrit emprunt d'humilité et de pragmatisme

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  2. Pierre Rabhi pleurerait sans doute plus de vous savoir en train de l'écouter dans votre bain, dégustant un Ferrero avant de vilipender celles et ceux qui tentent, certes parfois maladroitement, de transformer une utopie en réalité.

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  3. Très beau votre texte. Vous avez raison. Les "ayatollahs" existent partout et y compris chez certains "écologistes" ( les bien nommés par vous "biobios décérébrés") ...

    Rabhi n'en est pas.

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  4. Moi je n'aime pas Pierre Rabhi, le gourou philosphe sauveur de la terre. Je le trouve méchant et peu convaincant. Il étale sa philo comme de la confiotte, c'est dégueulasse et surtout plein de glucose de bien-pensence. Ses adeptes ne me dérange pas, certains sont même dans l'action "eux". Et en plus quand il cite Krishnamurti on se demande si on a lu le même auteur ? Ce mec me fait peur et il me fait mal au ventre.

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  5. Et voilà, Pierre Rabhi est beaucoup trop gentil ! Ça laisse le champ libre au moindre premier avorton venu qui pourra, sans l'avoir lu, à peine entendu, le prendre pour un génie ou pour une merde en toute partialité.
    À l'heure où les bombes, les crashs, le sang et les armes font vendre du papier, de la pub et pleurer les petites filles, quel manque de charisme !
    Réclamer, depuis des dizaines d'années, une agriculture saine et responsable, alors qu'aujourd'hui le Round'Up est encore en vente libre, qu'on a décimé les abeille, que les océans sont plastiqués, le ciel enfumé, quelle grossièreté !
    Si je n'aime pas les gens qui aiment Pierre Rabhi, je vois que je n'aime pas non plus ceux qui ne l'aiment pas.

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