@Justine Ollier |
Il m’a dit d’aller m’faire voir. Comme ça, d’un coup, sans sourciller, un café mal digéré, une fellation refusée, ou je ne sais quoi, et je me retrouve viré. Sans emploi. Maintenant, qu’est ce que j’vais faire ? Chercher un nouveau boulot ? J’ai pas l’goût, ça m’fait suer d’avance. J’vais avoir droit au chômage normalement, pourquoi je n’en profiterai pas un peu ? Au diable l’esclavage ! J’aurais peut être moins de spasmes... J’vois pas pourquoi j’me la coulerais pas douce après toutes ces années de dur labeur, c’est pas réservé qu’aux arabes et aux noirs que je sache !... Tiens en parlant d’arabe, v’la Momo qu’arrive. Je l’aime bien Momo, lui au moins il bosse, il vient boire des
coups au troquet, il s’intègre quoi. Puis il arrête pas d’parler, moi je suis l’genre de mec qui adore écouter les lascars raconter des histoires... Mais cette fois, c’est moi qui parle, j’lui raconte mon malheur matinal. Il m’dit que j’retrouverai du boulot facilement, des boulangers, on en aura toujours besoin... Il doit avoir raison, mais bon, faudra que j’aille chercher dans un autre quartier, ici, c’est foutu, il va m’faire une sale réputation l’autre enculé !... De toute façon, la France, ça a toujours été un pays de donneuses et ça le restera !
Quelle vermine quand j’y repense... J’aurais du lui foutre une beigne à mon gros con de patron, ça m’aurait fait du bien. Mais je déteste la violence, ce putain de monde l’est déjà assez. Momo me parle de ses mioches, trois qu’il en a, deux filles et un garçon, il s’inquiète pour la plus grande qu’a treize ans et qui s’habille comme une pute, enfin ça, c’est pas lui qui l’dit. De nos jours, on baise de plus en plus tôt il paraît... Moi, j’me suis fait dépucelé à quatorze ans, j’ai presque pas eu l’choix. C’était ma cousine Clotilde, une après-midi où on s’emmerdait bravement dans le jardin chez ses parents. Elle sortait avec un mec un peu plus âgé qu’elle à l’époque, et elle sentait que ça allait arrivait bientôt... alors elle voulait s’exercer un peu. Moi, j’étais là, j’ai rendu service, pas plus. On peut penser que c’est dégueulasse de se farcir sa cousine, mais moi ça m’a pas dérangé. J’ai même trouvé ça agréable. Une femme, c’est un trou à remplir, faut pas chercher plus loin. Puis vous savez comment c’est, lorsque le sexe durcit, le cerveau ramollit. Tout ça, c’est des souvenirs... Ça va peut être ressembler à ça ma vie maintenant : essayer de comprendre où j’ai foiré, savoir pourquoi et comment j’ai raté ma vie.
Je suis le commun des mortels. C’est pas la faute de mes parents, ils m’ont élevé comme ils ont pu, enfin surtout ma mère, mon père est mort quand j’avais cinq piges. On avait pas grand chose, mais j’ai manqué de rien. Il nous arrivait de sauter un repas, mais rien de bien grave. A l’école, j’me faisais pas mal chier. Avec tous mes profs, ça a toujours été la même très simple histoire : ils ont vite compris qu’il fallait pas m’faire chier, et que j’les emmerderais pas non plus. Même deal avec les élèves. Y’en a bien eu deux ou trois avec qui j’ai fait des conneries, mais jamais du long terme. J’ai jamais eu d’amis, le mot « amitié », j’le comprends pas de toute façon. Ça veut rien dire, dans c’monde, tu arrives seul, tu vis seul, et tu crèves seul. Tu peux t’marier, faire des marmots, avoir des tas d’amis, tu seras toujours seul. Alors j’en suis là, 49 berges, boulanger de métier, plus d’emploi, un peu pervers, à moitié alcolo, pas d’femme, pas d’enfant, à boire du pinard dans ce bistrot un peu glauque. Je suis l’genre de mec qui rentre dans le bar et qu’a pas besoin de l’ouvrir pour être servi. Y’a de quoi se suicider quand on y pense, se foutre une balle dans la tête... Le suicide, c’est la seule liberté possible pour les types comme moi. Personne viendra chialer à mon enterrement de toute façon. J’ai toujours bien aimé les cimetières moi en plus... Putain mais qu’est ce qui m’prend de penser à tout ça moi ?! Je ferai mieux d’écouter les âneries que raconte Momo à José, plutôt qu’de réfléchir à ma vie d’merde. Réfléchir, ça m’réussit pas à moi.
Le pain, c’est bien la seule chose que j’ai su faire dans ma vie. Tous les jours, m’lever à quatre heures du mat’ pour pétrir cette putain de pâte, et faire cuire ces dizaines et dizaines de baguettes. La spécialité française ! Rien qu’ça. Et c’est comme ça qu’on m’remercie... De toute façon, j’le savais, les français sont tous des cons, et les étrangers aussi. Si j’suis devenu boulanger, c’est pas par vocation. C’est la faute du type qui grimpait ma darone quand j’avais quinze ans... J’allais plus à l’école, alors fallait que j’fasse quelque chose, et cet enfoiré était boulanger, il m’a appris. Sans doute pour que je l’apprécie, mais j’entendais bien ce qu’il faisait à ma mère le soir... Ce bruit, ces cris, ça m’empêchait de me toucher croyez moi ! Puis j’ai commencé à bosser, par-ci par-là, dans des tas de crèmeries différentes, à me faire exploiter par des ordures plus ou moins répugnantes... Mais maintenant, je sais pas c’que j’vais foutre demain. Vivre au jour le jour, ça m’changera pas trop remarque. Je m’demande juste si j’vais pas m’ennuyer à rien faire... J’vais quand même pas passer mes journées dans c’bordel à picoler... Surtout que c’est pas gratuit, la gratuité, ça existe plus, fini, faudrait virer le mot du dico ! C’est terrible l’ennui, moi, ça m’a toujours fait faire des conneries. J’crois que j’ai trop d’imagination au final, incapable de tourner en rond, mais ça m’entraîne souvent là ou il faut pas.
Gustavo Mazzatella.
Chapeau. On dirait du François Hadji Lazaro.
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