© Anja Rakotoarimanana |
GM : Tu as commencé le mannequinat à quel
âge ?
VM : A 20 ans, c’était il y a deux ans.
GM : Comment l’envie t’est venue ?
VM : C’est un proche qui m’a conseillé d’essayer... J’étais en fac de droit, je sentais que ce n’était pas ma voie. Je n’imaginais pas que la photo le serait non plus. Puis, j’ai voulu essayer, par curiosité. Je suis tombée sur le site d’un photographe dont le travail m’a plu et, finalement, ma première séance photo est arrivée...
GM : Puis ça s’est enchaîné ?
VM : Oui, j’ai tâtonné pendant 3, 4 mois, et je me suis décidée à faire ça un peu plus sérieusement. J’ai enchaîné les séances, et après un certain temps, j’ai pu commencer à prétendre à une rémunération. J’ai alors démarché des agences.
GM : Niveau rémunération, tu augmentes au fur et à mesure des années et de tes expériences ?
VM : Il n’y a pas vraiment de tarifs fixes, ça dépend du type de travail qu’on me propose, de la durée... C’est assez flexible ! Je me réserve toujours le droit de refuser une rémunération que je trouve trop faible, je n’aime pas encourager les entreprises qui sous-paient leurs mannequins. Il m’arrive de voir des propositions de catalogue payées 50€ la journée, ça relève davantage du défraiement que du salaire, ce n’est même pas le SMIC !
GM : Tu trouves qu’il y a une prolifération de filles qui veulent être mannequins ?
VM : Je suis dans ce milieu depuis seulement 2 ans alors il m’est difficile de juger, mais j’ai entendu dire que l’arrivée en masse des filles de l’Est il y a 20 ou 30 ans avait contribué à « casser » le marché… En ce qui me concerne, je n’avais jamais rêvé de ce métier mais je suis très heureuse d’être là ! Le mannequinat a toujours fait et fera toujours fantasmer, et ça m’est arrivé de voir des profils un peu « surréalistes », les critères exigés en termes de taille et de mensurations étant assez stricts. Mais ce qui me gêne vraiment, c’est de voir arriver des filles qui n’ont aucune expérience en photo demander une rémunération. Personnellement, quand j’ai commencé, je ne pensais pas que ce serait autre chose qu’une passion, j’ai ensuite compris que je pouvais en faire ma source de revenus, mais c’est une question d’expérience.
GM : Même chose pour les photographes, il y en a de plus en plus...
VM : Oui ! Beaucoup s’auto-proclament «photographe de mode professionnel» mais on ne les retrouve que sur les réseaux sociaux… Et souvent, le travail laisse à désirer.
GM : Tu considères les photographes avec qui tu bosses comme de vrais artistes ou plutôt comme des artisans ?
VM : La distinction artiste/artisans est assez subtile : si on pense artisan, on pense à l’aspect technique... Un bon photographe doit posséder doit pouvoir incarner les deux, maîtriser la technique et réussir à faire passer une émotion. Mais la photo est tellement variée qu’on peut parfois considérer une pub comme un projet artistique… Je n’ai pas d’avis très prononcé là-dessus, je fonctionne au coup de cœur quand j’accepte de collaborer avec un photographe.
GM : Tu as des amis mannequins ?
VM : Oui, j’ai eu l’occasion de rencontrer beaucoup d’autres mannequins, surtout des filles. En général, le contact passe très bien, comme avec les autres membres de l’équipe (photographes, maquilleurs, coiffeurs, stylistes…). On se fait beaucoup d’idées sur les mannequins alors que ce sont souvent des filles très simples, qui ont les pieds sur terre, des études à côté le plus souvent, et ne jouent pas les divas… Ça doit exister mais je n’en ai pas encore rencontré !
GM : Tu as des modèles comme « mannequin célèbre » ?
VM : Je ne me suis pas assez projetée dans le milieu de la mode pour avoir un modèle, et j’essaie de me préserver un peu par rapport au métier du mannequinat... Mais si je devais citer quelqu’un, ce serait Coco Rocha, un mannequin canadien qui lutte beaucoup contre les clichés du milieu. Il devrait y avoir davantage de filles comme elle, suffisamment fortes pour se faire entendre quand leurs conditions de travail ne sont pas acceptables.
GM : Est-ce que tu as l’impression de vendre ton corps quand tu acceptes de poser pour une marque ?
VM : C’est précisément le concept du mannequinat ! On vend son image, donc son corps, une partie de son corps ou encore son visage. La preuve en est que lorsqu’une agence prend des polaroïds d’un mannequin, sans maquillage ni retouche pour évaluer son potentiel, c’est réalisé en sous-vêtements. Après, si c’est une question qui fait allusion à la prostitution, je ne vends rien d’autre que mon image, que je pose pour un catalogue ou pour du nu artistique.
GM : Oui, après pour moi un déménageur ou autre vend son corps ou, du moins, le loue à son employeur.
VM : C’est ça ! C’est un métier comme un autre, ça fait davantage rêver, mais finalement, ce n’est rien d’autre qu’une prestation de services, je « loue » ma présence devant l’objectif comme d’autres louent leurs corps ou leurs compétences.
GM : Tu répondrais quoi à une personne qui te dirait que les mannequins sont un des symboles de la société du paraître dans laquelle on vit ?
VM : Qu’elle a tout à fait raison. L’intérêt du mannequinat, c’est de vendre du rêve ; montrer quelqu’un qui n’est pas maquillé, coiffé, mis en lumière… ça n’intéresserait personne. Tout l’intérêt est dans le paraître. Le rôle des mannequins est d’incarner le glamour, la perfection, on ne leur demande pas de posséder un doctorat en économie, même si certains en ont probablement.
GM : Comme on demande à un footballeur de jouer au foot !
VM : Exact, on ne lui demande pas de lire Nietzsche, quand bien même il adorerait cet auteur !
GM : Tu disais faire du nu artistique, tu as l’air très à l’aise avec ton corps. Tu n’as aucun complexe ?
VM : Aucun complexe, non, loin de là… Ma toute première séance photo consistait justement en du nu. Je n’ai pas commencé par le plus facile, mais quelque part, c’est parce que j’ai commencé la photo comme une thérapie. J’avais du mal avec mon corps, je portais un regard très dur dessus. J’ai réussi à dépasser le stade du complexe adolescent grâce à la photo, en partie. Aujourd’hui, je n’ai aucune difficulté à poser nue. Finalement, à mes débuts, c’est plutôt le portrait qui m’a donné du mal, c’est très difficile de faire passer une émotion, alors qu’on s’intéresse plus au corps dans le nu, l’expressivité passe au second plan.
GM : Tu connais Marine Vacth l’actrice du film « Jeune & jolie » ?
VM : Oui, j’ai entendu parler du film, mais je ne suis pas allée le voir. Ce n’est pas vraiment un sujet qui m’intéresse. Le cinéma français en fait un peu trop ces dernières années à propos des jolies filles bien nées qui veulent à tout prix se prostituer... D’ailleurs, les commentaires du réalisateur m’avaient convaincue sur ce point : il considère sérieusement que les femmes ont toutes le fantasme de se prostituer. Et si je disais que les hommes ont tous le fantasme de violer ? C’est grave...
GM : Dans une interview, l’actrice déclarait qu’elle était le « réceptacle du désir des autres », tu ressens ça, toi aussi ?
VM : C’est un peu vague comme déclaration... Depuis la fin de l’adolescence, j’ai pu remarquer qu’on me regardait davantage, au début ça m’a surpris, très vite ça m’a lassé. Avant d’être une jolie fille, je suis une personne, ça peut être très blasant voire humiliant de se faire interpeller régulièrement par des inconnus dans la rue. Être le « réceptacle du désir des autres », ce n’est pas comme ça que je vois mon rôle en tant que modèle. Je ne suis pas censée susciter du désir, sinon on n’est plus dans le même domaine, je ne suis pas actrice de films érotiques. Dans une image, je ne suis que le sujet, c’est l’esthétique, l’émotion qui importe. Je suis un peu comme de la pâte à modeler à laquelle on donne forme.
GM : Est-ce que tu te sens féministe ?
VM : Je vois mal quelle personne ouverte d’esprit ne le serait pas. Je crois qu’il y a un gros malentendu sur la notion du féminisme, ce n’est pas une volonté de matriarcat ou de domination castratrice. C’est juste la recherche de l’égalité entre les hommes et les femmes, ça ne va pas plus loin.
GM : Loin des associations féministes, quoi.
VM : Oui, il ne faut pas réduire le féminisme aux associations féministes très médiatisées comme Chiennes de garde ou les Femen. Elles font moins pour les femmes que bien des associations plus discrètes. Le féminisme, ça se fait au quotidien, comme la lutte contre d’autres discriminations. Ce n’est pas une guerre, ni une incitation à la haine, juste une volonté pacifique d’égalité.
GM : En parlant de discrimination, est-ce que tu penses qu’il y a un racisme anti-moche ?
VM : Oui, complètement. De toute façon, si on ouvre un Marie Claire, bien que je ne sois pas amatrice de presse féminine, on n’y trouvera rien d’autre que des personnes au physique mis en valeur, correspondant aux standards actuels : grandes, minces, défauts gommés autant que possible...
GM : Mais même pour trouver du boulot, je suis certain que aussi bien que pour une serveuse que pour une comptable..
VM : Le problème, c’est qu’on juge le devoir de bonne présentation plus important chez une femme que chez un homme… Alors, je pense qu’à compétences égales, on choisira toujours la personne qui a un physique plus agréable.
GM : Pour finir, tu as peur de vieillir ?
VM : Oui, mais ça n’a rien à voir avec mon métier. Aussi loin que je me souvienne, ça doit dater de mes 8-9 ans, à l’époque où tous les enfants veulent devenir grands… Ça m’a toujours fait peur et j’ai assez mal vécu la barrière des 20 ans. Aujourd’hui, je relativise, j’ai de la chance dans ma vie privée et professionnelle alors je vois moins le temps passer.
Son book : http://www.victorienne.book.fr/
On peut avoir son numéro ?
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