vendredi 20 mars 2015

Les mots d'Artaud !

Depuis les cieux, un des plus grands poètes du siècle dernier nous envoie des éclaircies intenses en ces temps si troubles. Abreuvons-en nous.

« Si nous avons une fausse idée du destin, et de sa marche dans la nature, c’est que nous ne savons plus regarder la nature, sentir la vie dans sa totalité.
L’antiquité ne connaissait pas le hasard, et la fatalité est une idée grecque dont la grossière raison latine a encore accusé l’opacité. Pour se guérir du hasard le monde réputé païen avait la connaissance. Mais quand on invoque la connaissance, combien dans le monde moderne
pourraient encore dire ce que c’est.
Il y a un déterminisme secret basé sur les lois supérieures du monde ; mais un milieu d’une science mécanisée et qui s’embarrasse dans ses microscopes, parler des lois supérieures du monde, c’est soulever la risée d’un monde où la vie n’est plus qu’un musée.
Quand on parle aujourd’hui de culture les gouvernements pensent à ouvrir des écoles, à faire marcher les presses à livres, couler l’encre d’imprimerie, alors que pour faire mûrir la culture il faudrait fermer les écoles, brûler les musées, détruire les livres, briser les rotatives des imprimeries.
Être cultivé c’est manger son destin, se l’assimiler par la connaissance. C’est savoir que les livres mentent quand ils parlent de dieu, de la nature, de l’homme, de la mort et du destin.
Dieu, la nature, l’homme, la vie, la mort et le destin ne sont que des formes que la vie prend lorsque la pensée de la raison la regarde. Hors de la raison il n’y a pas de destin ; et c’est là une haute idée de culture, à quoi l’Europe a renoncé.
L’Europe a écartelé la nature avec ses sciences séparées.

Antonin Artaud, Autoportrait
Biologie, histoire naturelle, chimie, physique, psychiatrie, neurologie, physiologie, toutes ces germinations monstrueuses qui font l’orgueil des Universités, comme la géomancie, la chirologie, la physiognomonie, la psychurgie et la théurgie font l’orgueil de quelques individualités séparées, ne sont pour les esprits éclairés qu’une perte de connaissance.
L’antiquité avait ses dédales, mais elle ne connaissait pas le dédale de la science séparée.
Il y a dans l’esprit un mouvement secret qui divise la connaissance et présente à la raison égarée les images de la science comme autant de réalités.
Satan, disent les anciens livres des Mages, est une image qui se fait. A force d’invoquer le Mal, les magiciens noirs l’inventent et l’on peut dire qu’ils le créent. De même la Raison divisée invente les images de la science que l’on enseigne dans les Universités.
Ce mouvement est une chose idolâtre : l’esprit croit à ce qu’il a regardé.
Et regarder la vie dans un microscope c’est regarder un paysage par le petit bout de la réalité. »

Antonin Artaud, Messages révolutionnaires, L’homme contre le destin

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