vendredi 13 décembre 2013

Confessions d’un numéro à 10 chiffres (et 1 lettre). Melody Nelson.

S’il y a bien quelque chose que j’ai appris après ces cinq années passées sur les bancs des universités, un domaine que je peux évoquer en connaissance de cause, c’est le fonctionnement du système éducatif et universitaire français, ou plutôt son dysfonctionnement.

Je me fous bien du programme PISA et des conclusions bidons que les journaleux en tirent, je ne veux pas vous vanter les méthodes de nos voisins européens ou pire, américains (ce n’est pas JohnnyBadDog qui me contredira). Avant de voir si l’herbe est plus verte ailleurs, il convient déjà de défricher son
propre jardin. S’il suffisait simplement de « copier » les méthodes des autres pour obtenir les mêmes résultats, tout serait tellement plus facile. Des centaines d’entreprises auraient adopté le modèle économique de Google et se ferait des milliards sur notre dos (et ouais, « si c’est gratuit, c’est toi le produit ! »), tous les pseudos « top chef » (soit les ¾ de la population actuelle française) sauraient réaliser à la perfection tous les bons petits plats d’Alain Ducasse en suivant simplement son livre de recettes acheté en promo à la Fnac. Bref, un gros bordel. Parce que dans toutes ces recettes « miracle », on oublie un facteur certes instable mais essentiel, l’ingrédient clé qui fait que la mayonnaise prend : l’humain.

L’humain, un mot visiblement toujours inconnu dans notre système éducatif, puisqu’en France tout est affaire de chiffres. Une bonne façon de nous préparer à la vie en entreprise en somme… Si cette politique du chiffre débute dès l’entrée au collège (même parfois avant), elle ne cesse de s’intensifier au fil des années pour enfin atteindre son apogée lors des études supérieures. D’ailleurs on vous le fait bien comprendre dès l’obtention du Bac : on vous attribue un numéro étudiant, quelques chiffres derrière lesquelles se dissimule votre identité (un peu comme un agent secret quoi), qui vous servira à passer vos examens, consulter vos résultats, accéder aux ordinateurs de la fac... Tu peux oublier ton nom, du moment que tu te souviens de ton numéro étudiant, c’est le principal !

Mais ces anecdotes numériques sont sans compter le culte français du 10/20, l’obsession de la « moyenne ». T’as pas la moyenne ? Tu dégages ! Le doux refrain préféré de nos chers enseignants et professeurs. La sélection par le chiffre se substitue à la sélection naturelle, ainsi évolue l’être humain… Bien des écoles et universités focalisent le recrutement de leurs étudiants sur leur bulletin de notes, prétendu reflet de leur niveau scolaire. On se fiche bien de la lettre de motivation qui l’accompagne ou du véritable intérêt que peut porter l’étudiant sur le métier auquel il aspire. Pas de place pour la capacité à progresser non plus, l’ambition, la motivation. Tous les facteurs caractéristiques d’une « vocation » sont délaissés ! On préférera toujours un élève avec 15/20 de moyenne générale qu’un autre qui atteint péniblement le 10, même s’il rêve depuis toujours de suivre la formation en question. Après tout ce n’est pas ce que beaucoup de parents encouragent à faire ? « Travaille bien à l’école, fais un Bac S, comme ça tu auras le choix de tes études ». Sauf qu’à trop s’acharner à être bon partout, on oublie de réfléchir à ce qu’on veut réellement faire…

D’ailleurs niveau découverte des métiers, et bien les enfants démerdez-vous ! A l’école primaire et au collège, on apprend à lire, à compter, à situer le Groenland sur une carte, à dater la défaite de Vercingétorix à Alésia mais surement pas ce qu’est le métier d’électricien, d’aide-soignant, de cuisinier… Par contre, pour les plus « mauvais » d’entre vous (c’est-à-dire les « en dessous de 10 »), il faudra vous dépêcher de choisir un métier ! Le conseiller d’orientation, en bon annuaire vivant, vous donnera le nombre de lycées dispensant tel ou tel formation, mais faut pas lui demander plus. Je me souviens encore de l’angoisse et de la détresse de mes camarades de classe de troisième obligés de s’orienter en BEP ou CAP. Ces gosses même pas sortis de l’adolescence, que l’on contraint à se spécialiser d’entrée dans un domaine, parfois très technique, qui leur est jusqu’à lors totalement inconnu. Des gosses perdus au milieu de centaines de métiers qui n’ont aucune idée de ce qu’ils veulent faire car ne connaissent rien d’autre que les règles de grammaire, le théorème de Pythagore et quelques verbes irréguliers en anglais, à qui on ne laisse pas le temps de véritablement choisir de quoi sera fait leur quotidien dans une poignée d’années. Vous la voyez l’injustice ?

En revanche, les CAP, BEP et Bac Pro ont pour avantage de former des élèves à un réel métier, leur transmettre des connaissances, un savoir-faire, qu’ils pourront plus tard exploiter dans leur carrière professionnelle. Ce qui n’est pas forcément le cas de l’enseignement supérieur. Même très loin d’être le cas pour certaines formations… Sur les bancs de la fac, la pratique et le concret font chou blanc au profit de la théorie, toujours triomphante. Pas étonnant, quand on sait que la plupart des enseignants ne l’ont jamais quitté cette fac, passant juste du  banc à la chaire, et n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe en entreprise… Bien sûr, il ne s’agit pas d’envoyer tous les profs au goulag – certains  enseignants-chercheurs font très bien leur travail et contribuent à l’avancement de nos sociétés – mais d’ouvrir davantage le champ du pratique dans les études supérieures, notamment en fin de parcours. On éviterait peut être que des ingénieurs fraîchement diplômés accèdent à des postes haut placés sans même connaître la finalité de leur boulot.

Un autre constat me frappe chez les « bons élèves », surement même plus répandu chez les « très bons élèves » qui passent leur temps le nez dans les cahiers, à apprendre par cœur leurs leçons et se les réciter en boucle, c’est leur manque de culture générale. On se retrouve avec des gens qui peuvent vous expliquer en détails la loi universelle de la gravitation mais qui n’ont aucune idée de qui est Léo Ferré… Totalement centrés sur la réussite scolaire et fermés au monde extérieur. L’élite quoi. Et ce sont justement ces gens-là qui seront vos futurs patrons. Mais certaines universités ont trouvé une astuce pour lutter contre cette « inculture générale » dans les filières de gestion : instaurer des cours de culture générale à la fac. Un condensé des œuvres de Courbet, Ernst, Degas ou encore Thoreau, Baudelaire, Sophocle raconté en 40h. Le minimum culturel requis pour être le parfait cadre et avoir un semblant de conversation…

A propos de culture générale développée, parlons un peu des écoles de commerce – si vous n’avez pas saisi le trait d’humour de cette phrase, il serait important de vous remettre en question. Et oui, à mon grand désespoir, dans la tête de certains, école de commerce est encore associé à réussite... Ce n’est pas spécialement aux écoles en elles-mêmes que j’en veux, après tout l’éducation est malheureusement un business comme un autre, mais plutôt à ces étudiants trop cons prêts à s’endetter jusqu’à l’os pour pousser la porte de ces machines à fric. J’ai du mal à comprendre comment dans un pays comme la France, où la gratuité de l’enseignement public est une chance pour les étudiants, certains empruntent pour rejoindre ces écoles qui ne vous apprennent absolument rien sinon comment organiser une méga soirée open bar à 20 euros l’entrée. Les mêmes cons qui, à l’obtention de leur diplôme et sans emploi, sortiront de là avec 30 000 euros à rembourser à leur banque et plein de petits copains fils à papa qui eux auront été pistonnés dans des grosses boites et oublieront bien vite votre existence…  Ah bon, c’est pas mentionné dans leur jolie plaquette Sup de Co ?

Bien qu’étudiant à l’université, je ne sais pas si le même sort m’est réservé (l’emprunt et les fils à papa en moins), mais si j’écoute le discours de certains de mes profs, aujourd’hui pour travailler, il faut s’expatrier (« en France y’a pas de boulot les enfants ! »). On peut bien parler du pessimisme des jeunes français, encore faut-il se demander qui l’initie… Des enseignants qui forment des étudiants puis leur conseillent d’exercer ailleurs cela revient à dire que l’Etat encourage la fuite de ses propres cerveaux. En résumé, un investissement déboursé par la France, surtout lorsqu’on connait le budget accordé à l’éducation, qui profite plus tard à l’économie d’autres pays… Mais ça c’est une autre histoire…

Alors voilà, dans ce bordel qu’est le système éducatif et universitaire français, aussi paradoxal et injuste, dans un pays avec un rapport à la réussite focalisé sur le chiffre et le bourrage de crâne, où l’on vous encourage à partir pour exercer le métier auquel on vous a formé, et bien laissez-moi vous dire, messieurs les statisticiens, que les petits français ne se débrouillent pas si mal.

16*******1H
Melody Nelson.

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