samedi 13 septembre 2014

Fred. Gustavo Mazzatella.

C’était un mec de gauche Fred... ça le résumait à merveille. Un type sympa, cool, rempli de bons sentiments, qui aimait bien s’amuser, un chic type très apprécié. Semi-branché, semi-beauf. C’était un as du jeu de mots, qui ne voulait souvent rien dire, mais ça faisait sourire son entourage. Il adorait se mettre en valeur. C’était un winner Fred, il réussissait tout. Faut dire, il avait la positive attitude. La plupart de ses « bons » mots n’étaient pas de lui, ce qui n’a aucune importance de nos jours. Dans la société du clic, les branleurs sont rois. Il abhorrait la télé-réalité, pour lui, c’était de l’abrutissement et rien de plus. Fred regrettait énormément que les jeunes regardent autant ces programmes car il y avait tellement d’autres émissions intéressantes à ses yeux clos. Cependant, il n’était pas dupe et savait que les médias en général sont loin de la vérité. Il allait
voter quand on le lui dictait, bien qu’il présumait que « les politiciens, c’est tous les mêmes ». C’était peut-être son côté pédé refoulé qui le poussait dans l’urne, se faire enfiler avec tiédeur. Une sorte de semi-lucide le Fred. Un démocrate en tous cas ! Il exécrait les dictatures, bien qu’il ne savait pas réellement ce que c’était. Quand je lui décrivais ce qu’est sa démocratie, il me prenait pour un fou. Dans son petit fantasme de socialiste non assumé, il se disait que le monde se divisait en deux, les gentils d’un côté, les méchants de l’autre. Avec Clara, sa douce compagne, ils élevaient leurs enfants avec ces valeurs-là, des valeurs très actuelles comme je lui disais pour le faire sortir de ses gonds. Personne ne lui a jamais dit à ce pauvre Fred, que l’Homme est une ordure, un enculé/enculeur, une garce.

Il avait énormément de respect pour les militants Fred, lui n’avait pas le temps de s’engager, bien qu’il sortait manifester quand ça lui paraissait important. Les grévistes, il les soutenait, sauf ceux de la SNCF lorsqu’ils avaient le malheur de retarder son train, prendre les gens en otage, il estimait que c’était gonflé et facile. Il aimait bien les immigrés Fred, sauf quand ils crament des bagnoles. Il disait toujours que ça fait le jeu de l’extrême droite. Il trouvait ça nul qu’on brûle le drapeau français, qu’on siffle la Marseillaise, c’est regrettable. Il ne s’estimait pas patriote, mais quand même. ça le révoltait presque. Oui, Fred, parfois, il se prenait pour un révolutionnaire. Il allait même jusqu’à signer des pétitions sur le net, c’est dire. Ses idées toutes faites, elles lui semblaient importantes. Le communisme, dans l’intention, c’est l’idéal qu’il disait. Le partage des richesses, tout ça. Sauf qu’on oublie totalement l’infamie, la bassesse, la vulgarité, l’ignominie de l’être humain dans leur super concept. Le communisme n’a pas échoué à cause d’un ou de quelques individus. C’est à ce moment-là qu’il esquivait, redevenait cool, vide. Comme tous les gens de gauche, Fred, qui réfutait ce qualificatif, ne se prenait pas pour de la merde et pensait qu’il valait mieux que les autres, mais ça, il ne l’extériorisait pas. La fausse humilité, c’était son créneau. Lui donnait régulièrement à des associations humanitaires, et même à des clochards dans la rue, quand il voulait faire impression. Il avait beaucoup de compassion Fred, à vrai dire, ça l’aidait beaucoup de voir cette misère. Il se sentait mieux après, plus fort.

Il était contre la prostitution Fred, il était d’avis qu’on l’abolisse, carrément. Selon lui, les filles étaient maltraitées, puis cela n’est pas correct de vendre son corps. Les salauds qui vont aux putes cautionnent l’esclavage de ces pauvres filles. Je lui rétorquais que son analyse était fausse, que certaines femmes préfèrent se prostituer réellement plutôt que d’être larbin d’une multinationale, et que c’était contre les maquereaux qui agissent comme des grands patrons qu’il faut lutter. Mes mots ne l’intéressaient pas. L’indépendance, ça l’a toujours dépassé. Si je vous parle d’autant de sujets variés, c’est parce que Fred raffolait de donner son avis, souvent très commun, exprimer son point de vue, souvent très étroit. C’était un complexé de la culture, il n’entendait rien à l’Art. Un type qui ne jouissait pas. Difficile de lui faire admettre que l’on vit sous le règne du moins pire que l’on vend comme de l’excellent, autant en musique qu’en littérature, peinture, cinéma. Pour lui, tout ce qui est nouveau était bon. Ce que j’appelle nivellement par le bas, pour Fred, c’était la démocratisation de l’Art. Il était persuadé que si les jeunes de banlieues n’arrivaient pas à s’en sortir, c’est parce qu’il n’ont pas accès à la culture, et qu’ils ne peuvent pas s’évader, voire s’élever. Sa crédulité me le rendait à la fois touchant et affligeant.

Il était vachement dans l’apparence Fred. Un homme foncièrement moderne. Physique d’une part, il considérait que c’était important d’être « stylé » comme il disait. Il contemplait longuement un miroir avant de sortir de chez lui. Son style, c’était celui de tous ses amis gauchistes, malgré tous ses efforts de distinction. Il portait des lunettes sans verre, des pantalons colorés, des chemises unies et cintrée mais pas trop à cause de son ventre légèrement bombé, une montre, des baskets de ville. Une volonté d’excentricité vestimentaire pour cacher son conformisme intérieur. D’autre part, il voulait absolument paraître également dans sa psychologie ou morale. Il savait très bien que c’est largement suffisant dans cette société. Il s’intéressait un peu à tout, mais vraiment à rien en fait. Aucune profondeur chez Fred, l’absolu l’ennuyait, l’extrême lui faisait peur. Pas grand chose le passionnait en réalité, il se voyait comme un penseur, il regardait tout de loin, prenait tout de haut. S’il affectionnait tant ma compagnie, c’est parce que je représentais ce qu’il a toujours rêvé d’être, un « mec qui s’en fout de tout » selon ses termes. Son admiration l’aveuglait, car je prends très au sérieux la vie, mais avec un regard et des degrés d’importances différents des siens. Clara, beaucoup plus lucide et sincère que lui, trouvait qu’il jalousait mon âme d’enfant, ma pureté, ma légèreté.

Si je parle de lui au passé, c’est parce Fred est mort. Il marche, parle, rigole encore, et même plus qu’avant, mais il est tellement mort. Et ça, depuis longtemps.

Gustavo Mazzatella.

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