vendredi 14 novembre 2014

De la révolution. Mary Poppins.

Je ne sais plus qui se félicitait dernièrement de l’entrée du mot « féminicide » dans le dictionnaire. Personnellement, j’y aurais supprimé le mot « révolution ». À mon sens, rien ne sert d’encombrer le vénérable ouvrage avec un terme qui n’a à peu près plus la moindre résonnance ni la moindre signification, sinon le pouvoir toxique de bien souligner la tiédeur de nos convictions actuelles.

Je ne sais pas comment ça se passe dans vos vies, et ça m’ennuie déjà de l’imaginer, mais personnellement, j’ai drôlement l’impression d’être cernée d’esprits mous et râleurs qui se construisent de petites forteresses de bien-pensance et de mauvaise foi qu’ils ne quittent plus, tout occupés qu’ils sont à se regarder le nombril et à cracher sur
tout ce qui les entoure. Ces pisse-vinaigres qui nourrissent le système qu’ils invectivent n’essaient même plus de détourner ou d’arracher ce qui les gêne, ce qui les empêche, non, ils pestent et s’asservissent sans empressement, mais avec persévérance. 70% des Français sont prêts à se serrer la ceinture pour combler la dette. Ahah. Marguerite Yourcenar avait mis ces mots dans la bouche d’Hadrien : « Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l’esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d’imaginer des formes de servitude pires que les nôtres parce que plus insidieuses : soit qu’on réussisse à transformer les hommes en machine stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu’elles sont asservies. » Lucidité, actualité du propos.

Des révoltés, ça, on en trouve à tous les coins de rue. Il en pleut, il en dégouline de partout. Des qui pleurent, qui râlent, qui maudissent le gouvernement, et qui votent pourtant consciencieusement, mais des révolutionnaires, on n’en trouve plus trop sous nos latitudes. Il faut dire qu’aujourd’hui ils sont devenues icônes pop et s’affichent aux murs et t-shirts d’inoffensifs adolescents. Choupinoutitude affligeante aussi nauséeuse qu’une interview de Cali. Tout contribue à l’assoupissement des esprits, et alors les scandales politiques et financiers s’enchainent et nous enfilent dans  une indifférence salutaire à tous ceux qui nous gouvernent. Et par gouvernement je n’entends pas ministres, président et Assemblée. Parce que ça, à mon sens, ce n’est qu’un rideau de fumée. Une petite armée de marionnettes aveugles qui plie sous le poids des lobbyings et des intérêts de grands groupes privés. Ainsi, pendant que Bernard Arnault file en Belgique mettre au point les montages financiers qui le mettent à l’abri d’une fiscalité trop gourmande à son portefeuille, les deux tiers des Français acquiescent aux mesures d’austérité. Tant de naïveté pourrait presque m’émouvoir.

En même temps, quand on me parle de révolution, je suis obligée de penser à 1789 et à 1968. La première a vu la bourgeoisie prendre la place de la noblesse et réinstaller les mêmes codes et les mêmes injustices que celle à qui elle avait fait couper la tête, le sang bleu en moins. Celle de 68 a lâché dans la nature tout un tas de petits individus persuadés qu’ils allaient changer le monde. Ce sont les mêmes qui, ivres d’amour, de bons sentiments et de cannabis, ont voyagé jusqu’en Inde pour y ouvrir leurs chakras, y ont trouvé une main d’œuvre bon marché, et sont revenus avec leur petit business qui leur permet de vous revendre dix fois plus cher ce qui leur a coûté trois sous. Ce sont les mêmes qui, sous couvert de rejeter les carcans de l’ère gaullienne, ont engendré des bataillons d’enfants-rois puants d’autosuffisance et d’autosatisfaction comme autant de fruits pourris d’une éducation laxiste et soi-disant libertaire. Monstrueuses démonstrations d’avortements idéologiques mais sans surprise, puisque, par définition, une révolution ne vous fait faire qu’un tour sur vous-mêmes et vous ramène au point de départ. Je ne suis pas certaine, donc, qu’elle soit profitable aujourd’hui, alors qu’elle semblerait pourtant nécessaire. Je vais donc reprendre du chocolat.

Mary Poppins.

3 commentaires:

  1. Je crois volontiers qu'il serait temps de réviser 68' et de considérer davantage tous ceux qui ont pris 68 au pied de la lettre et qui y ont laissé leur vie en route plutôt que de désigner toujours ceux qui en 68 étaient déjà plus soucieux de leur carrière que de révolution (Cohn Bendit etc...). Je recommande Michel Mazeron "buvons, buvons et moquons nous du reste".... C'est un raccourci toujours facile de limiter 68 à ses dévoiements surtout quand on en a rien connu et qu'on ne s'y ai véritablement pas penché dessus (cf "rien n'est fini tout commence" entretiens avec Raoul Vaneigem editions Allia)

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  2. Moi j'aurais dit : c'est un raccourci facile de traiter 68 en à peine un 1/2 paragraphe, alors je me pencherai volontiers sur ces lectures. Néanmoins, il est à peu près interdit de m'en vouloir parce que je ne l'ai pas vécu et d'émettre l'idée que je ne pourrais pas en donner ma lecture, puisque je vis dans l'après 68, et qu'à moins d'une nouvelle révolution, j'en subis les bons (peut-être) et les mauvais effets. Je n'ai encore jamais rencontré de personne portant véritablement les idéaux de 68, à part pour se donner bonne conscience et sans les mettre en pratique... Pourtant, je suis cernée de post-soixante huitards. Et je ne suis pas encore ermite :)

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  3. Je suis comme vous, né en 68, je n'en ai rien vu. J'ai commencé par écrire comme vous le faites lorsque je me suis colleté successivement avec deux anciens soixante huitards, revendiqués comme tel. Ils étaient mes patrons, ils m'ont entubé dans les largeurs. J'ai longtemps haï toutes ces impostures autour de 68, avant de rendre compte que les contre-révolutionnaires s'en servaient pour discréditer d'avance toute forme d'insurrection et surtout avant de m'apercevoir qu'il y avait beaucoup de gens qui avaient cru en 68 qui l'avaient plus ou moins durement payé. Comme dans le conflit Israelo-Palestinien, au lieu d'exacerber les haines, il serait temps de montrer les refuzniks, d'évoquer les cas nombreux de soldats de Tsahal qui tombent en dépression, qui se suicident, en un mot qui "résistent" inconsciemment au régime oppressif qu'on leur ordonne d'imposer, je crois qu'il serait temps de partir à la recherche des voies ouvrières et étudiantes perdues de 68... Je me suis laissé dire, contrairement à la légende, qu'il y avait eu des morts en 68, de curieux accidents de voiture.... Merci de votre réponse. Vous écrivez admirablement

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