mardi 21 février 2017

NON EXPEDIT. PIE XIII

« - Vous savez quelle différence il y a entre vous et moi Très Saint Père ?
- Je vous écoute.
- La différence, c’est que, moi, j’ai été élu avec 41% de vote. Ces 41% existent. Vous, vous avez élu par Dieu, et il n’y a aucune garantie que Dieu existe.
- Je vois. Il y a un autre élément que vous devriez prendre en considération. Dans l’éventualité ou Dieu finalement existerait, avez-vous idée du temps qu’il lui faudrait pour faire disparaître ces 41% définitivement du globe ?
- (Rires) Et où Dieu détruirait-il ces 41% ? Dans les bureaux de vote, aux prochaines éléections ? Ou chez eux, pendant qu’ils regardent la télé ? Ou peut être dans leur sommeil ?
- Dans les bureaux de vote, aux prochaines élections. Qui plus est, moi, en ma qualité de Vicaire du Christ, je me ferais un plaisir d’aider Dieu à éradiquer ces 41%. Et si vous continuez à vous croire plus malin que les autres, je serais
obligé de vous prouver que sans conteste, Dieu existe.
- Laissez moi vous expliquer une bonne chose, Très Saint Père, vos exigences, pouvaient sembler tout à fait fonder à une autre période de l’Histoire, à une période de l’Histoire où l’Eglise était plus influente qu’elle ne l’est de nos jours. L’équation politique italienne aurait effectivement imposé d’accorder la plus grande attention à vos requêtes. Il en a toujours été ainsi par le passé. Mais aujourd’hui, faisons une brève analyse de votre Papauté, Très Saint Père. Au bout de 9 mois, vous n’avez toujours pas dévoilé votre visage aux fidèles, vous n’avez pas prononcé un seul Angelus sur la place Saint Pierre, vous n’avez communiqué avec personne, vous vous êtes simplement retiré dans votre palais sur la colline. Et vous avez menacé les fidèles, vous les avez effrayés avec vos déclarations télégraphiques et lapidaires dans l’observatoire du Vatican, avec vos thèses rétrogrades et obscurantistes. Le résultat étant, à en croire un certain nombre d’études faites avec le plus grand sérieux, que les Catholiques Italiens ont fui les églises paroissiales, en masse. Ce récent phénomène m’autorise non seulement à ignorer vos requêtes, mais aussi à saisir une belle oportunité, celle de moderniser enfin l’Italie. [...] Pour résumer Très Saint Père, grâce à vous, je vais lancer une révolution.
- Extrêment persuasif comme discours.
- Ah, c’est bien que nous soyons enfin sur la même longueur d’onde.
- Persuasif, et stupide. J’ajouterais : comme tous les discours d’hommes politiques, et de plus, irréalisable.
- Irréalisable ? Alors ça, nous verrons bien.
- Maintenant, si vous m’écoutez attentivement, vous allez voir que Dieu existe, et comment avec son aide, je peux annihiler les 41% de la population qui vous permettent d’afficher cet air joyeux et satisfait de vous-même.
- Je meurs d’impatience d’entendre ce que vous avez à dire.
- Et je m’en réjouis.Voyez-vous, monsieur le Premier Ministre, dans les années 60, les jeunes manisfestants qui protestaient contre l’autorité débitaient toutes sortes d’hérésies. Une seule se démarquait : l’imagination au pouvoir. Celle-là avait lieu d’être. Le seul problème, c’est qu’ils n’avaient aucune imagination. Et, vous non plus... Mais Dieu et moi, on en manque pas. Je dirais que Dieu et moi, on déborde d’imagination. Maintenant, essayez d’imaginer en même temps que moi. Dans 6 mois, l’Italie entrera en période électorale et vous tenterez de préserver ou d’augmenter les 41% de l’électorat qui vous sont acquis, et pour l’heure, il est vrai que les faits montrent votre capacité à préserver ces 41%.
- Oui...

- Mais imaginez ceci, quelques semaines avant les élections, la nouvelle tombe : le Pape Pie XIII vient d’annoncer qu’il est décidé à apparaître en public pour la toute première fois, pour s’adresser aux catholiques Italiens. C’est comme une épidémie. Le monde tout entier est dévoré par la curiosité, et c’est totalement compréhensible. C’est normal, on a tous envie de voir ce qui nous est caché, tous envie de regarder l’interdit en face. Pie XIII vient d’apparaître, et ses superbes yeux bleus aussi, et ses lèvres pulpeuses. Image étincelante. Si étincelante, qu’elle éblouiera tout le monde. Autant dire une image forte, de portée symbolique. Dans le genre de celle du Christ. Mais Pie XIII ne se contente pas d’étinceler, il vient pour réconforter les fidèles, avec une magnifique homélie, forte de citations latines. Il leur dit, que ceux qui ont la foi, n’ont pas de peur à avoir. Et pourquoi avoir peur du reste, avec un Pape largement aussi beau et réconfortant que le Christ ! Et là, enfin, quelques petites semaines avant les élections, le Pape dit simplement deux mots : Non expedit. Vous savez de quoi je parle ?
- Non.
- Non évidemment vous êtes bien trop jeune. Le « non expedit » fut décrété en premier lieu par Pie IX en 1868, pour être supprimé en 1919 sous Benoit XV. Mais qu’ai-je le droit de faire selon vous ? Moi, qui n’ai pas de compte à rendre à 41% des Italiens mais seulement à Dieu qui, pour votre gouverne, ne clame pas sa déception sur les réseaux sociaux quand je fais de mauvais choix. Qu’ai-je le droit de faire selon vous ? J’ai le droit de rétablir, le « non expedit ». Les Catholiques vont tous se ruer sur google pour voir ce que c’est. « Non expedit »... Cela signifie tout simplement que le très Saint Père décrète qu’il est inacceptable que des Catholiques aillent voter aux élections italiennes. Et savez-vous ce que les sondages que vous avez commandé révèlent ? Il révèle que le nombre d’Italiens se désignant eux-mêmes comme des Catholiques représentent 87,8% de la population. Alors, vous me direz, mais rien ne les empêche de vous désobéir... Très juste. Mais si tenté qu’un Catholique puisse désobéir au Pape, il ne désobéira jamais au Christ. »

The Young Pope, Saison I, Episode VI

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