samedi 14 juin 2014

De la mort. Mary Poppins.

Enfant, violemment confrontée à la mort, je me suis demandée pourquoi les adultes n’ouvraient pas les paupières des morts, persuadée qu’ils reprendraient vie une fois qu’ils auraient les yeux rouverts. Pendant quelques jours, j’ai promené avec moi, naïvement, la certitude d’avoir découvert le secret de l’immortalité. Evidemment, il a fallu que, distraitement, quelqu’un de pas tout à fait bienveillant rectifie mon tir et m’ouvre les yeux, à moi : non, il est impossible de réveiller un mort, et puis il est impossible de ne pas mourir. Je mourrai, un jour. Toi, tu mourras aussi. Et eux, ils mourront tous.

Sur le coup, ce fut un choc. Tout a vacillé, plus rien ne pouvait être un refuge, les nuits étaient opaques, les jours
convulsés d’angoisses. Il me semblait que tout au long de ma vie j’allais marcher le long d’un gouffre sans fond, sans lumière, et sans chaleur.

Aujourd’hui, je m’étonne de ce que peut provoquer la mort en nous. Cette tristesse, ces larmes, ces peurs, cette douleur. Depuis la nuit des temps, l’homme est mortel, la nature est mortelle, on a même compris aujourd’hui que le Soleil était mortel. Tout petit, on s’imagine qu’un jour on aura un travail, un amoureux, des enfants. On se rêve en chanteur de banalités, ou en joueur de foot. Dans le fond, il est fort probable que tout cela adviendra, dans l’ordre ou dans le désordre. On notera toutefois quelques variantes dans la forme : le joueur de foot devient souvent manutentionnaire ou professeur d’EPS, alors que l’ex future star montre rapidement de  réelles dispositions pour le maniement de la caisse enregistreuse. Non, la seule chose dont on peut être certain dans la vie, c’est qu’on va mourir. C’est le truc le plus équitable qui puisse nous arriver. Les pauvres, les faux riches, les riches meurent. Les petits et les grands, comme les moyens, ceux du sud et ceux du nord, les insouciants, les menteurs, les tricheurs, les saints, les moins que rien, les tout-puissants, les sans intérêt, les heureux, les malheureux, les moutons, les chiens, les bergers. Si je me permets de remettre cette lapalissade sur le tapis, c’est qu’il me semble qu’on l’oublie tout le temps, et que je ne comprends pas qu’on s’attriste ou qu’on s’apeure à ce point de la mort. Elle est tellement inévitable…

Il apparait clairement qu’il nous est impossible de bien considérer la mort de face. Impossible de bien vouloir admettre qu’après la mort, on ne soit plus rien. On a été, oui, mais on n’est plus rien quand on est mort. Et ça, peu de gens l’admettront calmement. Chaque religion, tel un bon publicitaire ou un arracheur de dents, propose sa propre conception de la vie après la mort. Enfin, en vérité, c’est toujours un peu la même chose, selon une vision platonicienne bien ancrée dans la culture occidentale : l’âme se détache du corps, la mort libérant celle-ci de son enveloppe charnelle. Il est question de paradis, de jugement dernier, de résurrection, comme autant de promesses rassurantes.

Aujourd’hui les découvertes scientifiques pulvérisent intégralement ces divagations embuées, et chacun s’en accommode comme il peut. Alors que l’Eglise nous sert un discours fleuri de métaphores réconfortantes, beaucoup se tournent vers la réincarnation pour se persuader qu’ils ne mourront jamais vraiment. Se figurer que l’on renaîtra en chat ou se persuader qu’on a été Victor Hugo et qu’on sera le premier homme qui marchera sur Mars résorbe aujourd’hui bien plus efficacement l’angoisse du néant qu’une prière ou une lamentation. Mais il me semble que c’est exactement la même chose : un aveuglement, rien qu’un pansement. Il me semble même complètement symptomatique du sentiment de toute-puissance de l’Homme de ne pouvoir se concevoir comme simple mortel, puisqu’au fond, il se considère immortel, et ça me fait peur.

Personnellement, je ne trouve du réconfort que dans la bouche d’Épicure qui dit que « tant que nous existons la mort n’est pas, et que quand la mort est là nous ne sommes pas ». Je devrais donc m’attacher à ne pas la considérer, et je fais tout le contraire. Comment ne pas penser, chaque matin, que je vais peut-être mourir aujourd’hui? Je ne joue pas à Candy Crush, mais je m’amuse souvent à imaginer la date de ma mort : le 13 août 2024 ? Le 6 février 2058 ? Le 18 novembre 2037 ? Et comment ? Est-ce que je mourrai d’un coup de hasard ? Noyée ? Malade ? Écrasée ? Cette infernale loterie matraque mes moindres accalmies, où que je sois. Quelle torture de ne croire en rien, de trop bien voir la vanité de tout ça. Alors pourquoi ne pas y mettre un terme définitif, proprement, et calmement ? Probablement parce que quand même, je n’ai pas envie de mourir, enfin, pas tout de suite : il reste encore un peu de chocolat.

Mary Poppins.

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