mardi 17 février 2015

Hymne à la vie. Gustavo Mazzatella.

« On nous apprend à vivre quand la vie est passée. » Michel de Montaigne, Les Essais, Livre 1, Chapitre XXVI.

L’enfant, cet être profondément, intensément spirituel. La « vie intérieure » d’un môme, comme la nomme John Cowper Powys, est immense et somptueuse, indescriptible. L’observation de ces êtres absorbés par cette vie mystique me comble de béatitude. L’éclat de rire de ces fontaines de jouvence d’apparence humaine, qui peut être provoqué par n’importe quelle situation spontanée, est beaucoup plus important qu’un discours de chef d’état aussi puissant soit-il. On ne peut pas dire que « j’aime les enfants », plutôt que je les jalouse, avec bienveillance, et que je lutte chaque jour pour ramener en moi le petit garçon que j’étais. Quand tous les adolescents puis jeunes adultes cherchent et arrivent très bien d’ailleurs à se débarrasser de cette légèreté jadis en eux, moi, accroché
à elle tel un bébé kangourou s’agrippe au pelage de sa mère, je résiste.

Il n’y a pas plus libre qu’un enfant. Il n’y a pas plus frivole qu’un enfant. Il n’y a pas plus innocent qu’un enfant. Tous les parents sont salauds, des salauds voulant bien agir, certes, mais des salauds, puisqu’ils entraînent coriacement et sans leur laisser le choix leurs progénitures dans cette pseudo-vie sans âme, sans émotion. Les faire rentrer dans ce moule si peu intéressant de cette humanité qui n’en porte plus que le nom, c’est la mission inavouée et inconsciente de toute personne majeure de ce monde. Un enfant n’a pas la moindre intention de devenir un adulte, jusqu’à ce qu’on lui implante cette idée sordide dans la tête. Le sérieux les emmerde jusqu’à la moelle. Dès l’enfance, on vous habitue à être privé de vos libertés. On leur impose des jeux, avec des règles bien strictes, dont ces petits malins arrivent parfois, mais seulement parfois, et pour si peu de temps, à s’extirper. On les nourrit de produits chimiques, dont on s’étonne ensuite qu’ils raffolent. La déresponsabilisation, encore un truc de grande personne. J’écrivais il y a peu que la seule révolte possible et réellement révolutionnaire viendrait des marmots : j’y crois autant qu’elle est impossible.

L’enfant, c’est le rejet de toute forme de matérialisme. N’en déplaise aux grandes personnes qui essaient en vain de restaurer pathétiquement en eux une part de jovialité enfantine à Noël, le mioche, tout joyeux soit-il de recevoir des gadgets dont il va vite comprendre le manque d’intérêt, ne s’attache qu’à ce qu’il veut. Cela peut prendre n’importe quelle forme, toujours est-il que c’est un choix personnel. L’imagination d’un enfant écrase la valeur aussi grande soit-elle que peut avoir un jouet. Deux ou trois bouts de bois se transforment aisément en vaisseau spatial capable d’atteindre la Lune. Leur capacité d’extrapolation est bien plus puissante que la dernière technologie à la mode. Ils ont matière à recréer un monde, jusqu’à ce que l’on vienne pourrir leur oxygène, comme on sait le faire avec les tribus de la forêt amazonienne, et les infecter de ce virus réduisant à néant toute forme d’inspiration surnaturelle. Le résultat ? De grands attardés passant leurs journées dans des jeux vidéos aussi moches qu’ordinaires. Je ne peux m’empêcher d’évoquer tous les « artistes » du show-biz' revendiquant cette part d’enfance en eux, cette insouciance. Ils sont menteurs. Ce sont des acteurs jouant aux enfants quand ils sont dans la lumière et reprenant leur sérieux, leur amour du fric, leur désir de gloire, dès lors que le rideau est tombé. C’est à ça qu’on distingue un véritable artiste : son comportement ne varie pas en dehors des caméras. Il n’y a pas plus anticonformiste, individualiste et égocentrique qu’un bambin. Voilà pourquoi les plus grands artistes que la Terre a porté - porte et portera - possèdent ces trois attributs. Ils sont eux, pour le coup, d’authentiques chérubins dont la clairvoyance ne fait pas de doute, et dont la résonance est infime. Par on ne sait quel miracle, ils sont passés, de la même manière qu’un spermatozoïde atteint l’ovule, à travers les mailles du filet de la mort de l’âme. L’enfant, c’est l’artiste.

Toute éducation est à rejeter. Le principe même d’éducation est à rejeter. Comment peut-on prétendre connaître les ingrédients d’un bonheur pour son enfant quand on ne sait même pas pour soi-même à quoi ressemble ce prétendu bonheur, si ce n’est a une absurdité regroupant une « belle » situation professionnelle, une grande maison, une bonne santé et la fondation d’une famille ? Il n’y a pas d’acte plus narcissique que celui d’enfanter. Un père n’éduque pas son enfant, il le détruit. Une mère n’éduque pas son enfant, elle le détruit. Comme un jouet, dont ils sont les propriétaires. Ni l’éducation la plus stricte, ni l’éducation la plus cool, ni l’éducation la plus choyée, ne portent leurs fruits. Il faut prôner un vide éducatif, se laisser entraîner et porter par l’imagination d’un renouveau. Un enfant ne peut être élevé que par un autre enfant. Autrement, le mot juste n’est pas « élevé » mais rabaissé. Si vous trouvez ça violent voire totalement stupide, voyez-le comme une paisible réaction pour une remise en cause nécessaire de l’éducation socio-culturelle que l’on nous vend comme parfaite, dont on connaît les résultats éminemment désastreux. Mais ce sont évidemment des mots qui ne trouveront pas le moindre écho, on préfère s’en remettre aux solutions d’une Najat Vallaud-Belkacem qui ferait mieux de se pencher sur sa propre éducation et son parcours détestable avant de donner des leçons. Je n’ai rien contre elle personnellement, et la personne qui viendra après sera aussi méprisable. Toutes ces personnes, persuadées d’agir pour le bien commun, alors qu’elles bousillent chaque individualité, doit-on leur en vouloir ? « Seigneur, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Malgré la parole du Christ, je répondrai oui.

Les professeurs d’aujourd’hui se croient investis d’une mission visant à « sauver » ses élèves, à résoudre les problèmes qu’ils n’ont pas. Inutile de préciser que pour cela, ils n’hésitent pas à s’immiscer dans la vie privée de ces jeunes, sans la moindre culpabilité. S’ils n’ont plus le droit de filer une bonne torgnole sur le visage divin de leurs élèves ni de leur botter le derrière, ils s’octroient des droits beaucoup plus fourbes et scabreux. Uniquement dans le but de jouir de leur statut d’enseignant dont ils ne possèdent pas la sagesse nécessaire pour l’exécuter. La bonne conscience, l’amour-propre, voilà des horreurs dont l’enfant, cet être suprême, est totalement dépourvu. Sur l’école elle-même et sa capacité à « éduquer » un enfant, tout le monde sait depuis des siècles que c’est un désastre qui ne cesse de grandir, le bourrage de crâne n’a jamais permis le moindre développement personnel mais un asservissement néfaste conduisant tout droit devant sa télé et dans les bureaux de vote. « On apprend rien à l’école que des sottises raisonnantes, anémiantes, médiocrisantes, l’air de tourner con râbacheur. Regardez les petits enfants, les premières années… ils sont tout charme, tout poésie, tout espiègle guilleretterie… À partir de dix, douze ans, finie la magie de primesaut ! mués louches sournois butés cancers, petits drôles plus approchables, assommants, pervers grimaciers, garçons et filles, ragoteux, crispés, stupides, comme papa maman. Une faillite ! Presque déjà parfait vieillard à l’âge de douze ans ! » Louis-Ferdinand Céline, enfant prodige. L’école de mes rêves se rapproche de celle de Marco Ferreri, mis en scène dans Pipicacadodo avec la formidable interprétation de Roberto Benigni en instituteur grandiose... L’enfant, c’est l’instinct. L’enfant, c’est l’instant. L’enfant, c’est la Vie.

Gustavo Mazzatella

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire