samedi 30 avril 2016

L'interview de Gustavo : Misungui !

Misungui by François Benveniste,
2016
Gustavo Mazzatella : Comment considérez-vous le corps humain ? Comme un objet ? Un outil ? Un poids ? Une enveloppe à mettre en valeur ?

Misungui : Pour moi le corps et l’esprit ne sont pas deux choses différentes, du moins je ne pose pas de frontière claire entre ces deux notions. Aussi, je pense que mon corps c’est moi, qu’il m’appartient et que je lui appartiens.
Il s’agit donc de choyer ce corps, de l’aimer et de le mettre à l’épreuve, de le faire vivre, de le comprendre et de le ressentir.
Mon corps est ce qui fait de moi une personne, capable d’interagir avec le monde qui m’entoure. Je veux utiliser ce corps au maximum de ses possibilités, en trouver les limites et souvent les franchir. C’est mon outil d’être au monde.

GM : Vous vous définissez comme « pro-sexe ». Selon vous, la société est-elle en train de se libérer sexuellement ou au contraire, de (re)devenir
terriblement puritaine ?

M : Je n’en sais rien, je n’étais pas dans la chambre des hommes de Cro-Magnon pour comparer. Je ne réfléchis pas en terme de régression ou amélioration. Je prends les choses telles qu’elles sont et je les analyse. 
J’estime qu’aujourd’hui, il y a pas mal de choses à améliorer par exemple en terme d’éducation sexuelle, de connaissance du corps et de ses organes du plaisir, ainsi que de représentations sexuelles, de diversité des corps et ses pratiques représentées. 

GM : Estimez-vous avoir accompli votre « mission » en excitant un homme (ou femme) ou en le (la) faisant réfléchir, notamment sur sa propre sexualité ?

M : (Rires) Mais je n’ai aucune mission voyons ! Je suis une personne, comme vous, j’existe tout simplement ! J’ai fait le choix de partager mon expérience et mon point de vue sur différents sujets parce que je crois que c’est intéressant pour les autres. Aussi j’aime échanger sur ces sujets, donc c’est chouette que les autres apprennent des choses mais moi aussi je veux en apprendre !

GM : Vous pratiquez le Shibari, une pratique venue d’Asie pouvant être assimilée au bondage. Vous sentez-vous libre une fois attachée ?

M : C’est un peu facile comme approche, enfin je veux dire que c’est assez réducteur, en réalité c’est beaucoup plus compliqué que ça. Cela dit, c’est très difficile d’en parler puisque mon expérience n’aurait pas valeur d’enseignement, chacun ayant un rapport tout à fait personnel aux cordes et à ce qui se passe dedans. Aussi, c’est une partition qui s’écrit à deux, avec un-e partenaire, ce qui rajoute un autre niveau de subjectivité, rendant impossible les jolis discours pré-fabriqués et à valeur universelle. 
Misungui by Alex DirytVonp, 2016

GM : Vous avez écrit un post sur votre Tumblr dans lequel vous regrettez l’amalgame BDSM = violence. Ou plutôt vous expliquez que la vie est violente, certes, mais que cette pratique n’est en rien « une catharsis de la violence ordinaire ».  Comment se fait-il que la majorité des gens n’aient que très peu de curiosité à son égard et s’arrêtent à une vision simpliste et erronée ?

M : Alors je n’ai pas dit que cette pratique n’était « en rien » une catharsis, j’ai dit que ce n’était  « pas que » cette catharsis. 
Pour la deuxième partie de la question je pense que c’est tout simplement dû à l’aspect impressionnant de la pratique, et puis on ne peut pas tout faire dans la vie hein, tout le monde ne fait pas de yoga ou de méditation, pourtant c’est chouette !

GM : Vous vous revendiquez comme « queer », un mouvement arrivé il y a une vingtaine d’année en France. Est-ce selon vous la seule manière, ou la plus forte, pour une femme de s’émanciper complètement et évacuer la domination masculine ?

M : C’est pas un concours de bite a priori donc personne n’essaie d’être le plus fort, en tout cas pas moi. Non j’ai juste trouvé ce mot commode pour éviter d’avoir à me mettre dans l’une des cases prévues par l’ordre établi, case que je trouve l’une comme l’autre beaucoup trop restrictives. Parce que dans les faits, les femmes (ou assimilées en tant que telles) sont moins bien loties, c’est évident (salaire, violence, répartition des tâches ménagères, légitimité dans l’espace public, politique, philosophique, etc, etc...), mais je ne trouve pas le statut d’homme moins contraignant en terme d’injonction à entrer dans un moule. 
Du coup je ne conçois pas le féminisme comme un mouvement d’émancipation des femmes mais plutôt comme un mouvement d’émancipation des humains, de libération de la construction des identités et des parcours pour tous-tes.

GM : Vous militez pour ce que vous appelez « l’auto-gestion », que l’on peut résumer à une responsabilisation des individus par rapport à la société dans laquelle ils vivent. Avant d’aborder ce sujet, le fait de militer, cela signifie que vous désirez « convertir » le reste de l’humanité (ou au moins une partie) à votre cause, et adopter ce style de vie ?

M : Ahah ! Non je ne suis pas l’église catholique ! Plus sérieusement, je n’ai l’intention de convertir personne à rien du tout, les gens sont responsables de leurs idées, ils les choisissent en leur âme et conscience, moi je ne fais qu’exposer, partager, discuter les miennes. 
Aussi, l’auto-gestion est un concept anarchiste et en tant que telle je ne conçois pas un monde uniforme dans lequel l’unanimité règne, bien au contraire ! La liberté, la responsabilité, ça demande avant tout une grande capacité de tolérance vis-à-vis des modes de vie, des cultures, des idées différentes des siennes. Ce que je souhaite c’est que chacun choisisse sa propre route sans barrer celle des autres. Décentraliser, opérer à la fois une globalisation en ce sens que nous serions tous citoyens de la Terre, libres et égaux en droit, et à la fois non contraint par un pouvoir et une culture universelle et sectaire dont on ne peut s’échapper. Que les humains se réunissent par groupe d’intérêt communs et élaborent leur mode de vie et son fonctionnement par eux mêmes pour eux mêmes. 
Voilà mon utopie dans les grandes lignes.


Misungui by François Benveniste, 2016
GM : Vous avez donc commencé il y a plus d’un an et demi un « voyage vers l’auto-gestion » que l’on peut suivre sur un Tumblr. Pourriez-vous nous faire, très rapidement, un bilan de vos diverses expériences ?

M : Il n’est vraiment pas l’heure du bilan pour moi mais je peux déjà dire que je ne regrette pas une seconde mes choix et que je m’enrichis chaque jour de nouvelles expériences et de nouvelles perspectives, ce qui me fait me sentir vivante. Aussi, je me sens plus vivante depuis que mes actes, mon travail, ce que je mange, où je dors, quel genre de relations j’entretiens avec les autres, depuis que toutes ces choses ont enfin du sens.

GM : Ce que je trouve dérangeant dans la plupart des lieux que vous avez visité, et que j’ai donc découvert à travers vos récits et photos, mais également dans tout ce que je vois de ce genre d’expériences alternatives, c’est la notion inévitable de communauté, de groupe. Comment ne pas détruire obligatoirement l’individualité au sein d’une communauté qui vit selon les mêmes principes, les mêmes règles, les mêmes dogmes ?

M : Euh.... là vous décrivez plutôt l’état et ses soi-disant citoyens ! 
Dans les villages auto-gérés que j’ai visité il n’y a ni dogme, ni règles, ni même de principe ! Aussi, le degré de temps passé en collectif est très variable selon les lieux.
A Troglobal, la plupart des habitants ont une vie en dehors du groupe, leurs maisons sont équipées de cuisines individuelles, ils ne se voient pas nécessairement tous les jours, ne partagent pas nécessairement les mêmes activités... Bref, il n’y a pas une vie collective quotidienne et intense. 
Cela dit, le lieu que j’ai préféré est celui où cette vie collective était la plus riche et quotidienne alors même que je pensais un peu comme vous avant de partir, que j’aurais du mal à être trop souvent en groupe, etc... et finalement c’est cette énergie positive, qui pousse à l’action, à la créativité, qui redonne d’un plaisir et du sens à un vivre ensemble que l’homme moderne a vraiment oublié, qui m’a plu dans ce lieu. 
Après voilà,  ce sont des laboratoires, des expériences qui ressemblent à ceux qui les portent, à vous de créer la votre, à votre image !

Backstage by Mina Murray from
a shooting with Philippe Bourgoin
GM : Vous qui vous servez énormément de ce média, comment jugez-vous l’omniprésence d’internet dans nos vies ?

M : C’est compliqué... je pense que ça m’est utile pour le moment mais que quand je serais vraiment installée, je m’en éloignerai drastiquement. C’est à la fois un formidable outil d’information et une machine à dévorer le temps et la capacité d’action des gens... alors je ne sais pas.... l’avenir le dira.

GM : Pensez-vous que la multiplication de l’information et du contenu grâce à internet peut (ou a déjà) réduire l’influence massive des grands médias sur les individus ?

M : Internet est un grand média ! Non je ne pense pas vraiment.... Le vrai travail, le vrai débat, c’est dans la vie qu’il se passe. Internet peut servir mais on ne fera pas la révolution derrière son ordinateur non plus, c’est juste un outil pratique. 

GM : Pour finir, est-ce que Misungui vote ?

M : Non, je suis contre le système présidentiel et représentatif donc je ne pense pas qu’un soi-disant représentant puisse changer les choses. Je pense que le peuple peut le faire avec une grève générale, de longs débats et l’exigence d’une décentralisation du pouvoir, et l’introduction de garde-fous démocratiques forts (consultation régulière obligatoire du peuple pour toutes décisions importante au niveau national, et pour n’importe quelle décision au niveau local). 
Je fais court et rapide donc vraiment pas suffisant mais ça donne une idée des pistes que je soutiens.

http://www.misungui.tumblr.com/
http://www.monstertruckontheroad.tumblr.com/

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