jeudi 13 février 2014

L'interview de Gustavo : Léonel Houssam (ex Andy Vérol)

Je ne sais pas s'il est vraiment nécessaire de vous présenter Léonel Houssam, anciennement Andy Vérol. Non pas qu'il soit "connu", on pourrait d'ailleurs le définir comme l'écrivain le moins connu des écrivains reconnus à l'instar d'un Rockin Squat dans le rap. Mais je vous dirais quoi, qu'il a un style d'écriture dément et qu'il est bougrement intéressant, vous allez voir tout ça dans les réponses qui suivent...

GM : Vous étiez Andy Vérol, et depuis septembre 2013, vous êtes devenu Léonel Houssam. Pourquoi avoir changé de pseudonyme ?

LH : Parce qu’Andy Vérol était devenu intellectuellement insolvable et une parodie de lui-même. J’avais aussi envie d’ouvrir le champ de création. Ce genre de personnage te cantonne à la provocation perpétuelle et surtout à un positionnement systématiquement contre. Je suis désormais plus libre, et délesté du poids d’une notoriété à la con.


GM : Vous considérez-vous comme un écrivain « en marge » ?

LH : Je me considère à peine comme un écrivain en fait. La posture de poète maudit ou de scribouillard d’underground ne m’intéresse pas  plus que je ne supporte de côtoyer des écrivains. Je suis un écrivant devenu écrivain en 2008 par le seul fait que je suis rémunéré pour mes écrits. La marge, c’est une posture, pas un état ou un statut.

GM : Selon vous, dès lors qu’on est écrivain, peu importe le support, dès qu’on s’exprime, c’est de la littérature ?

LH : Je n’en sais rien. J’écris de la fiction avec un peu de cervelle dedans. Ce que j’ai plus de mal à supporter, c’est ce tsunami d’écrivains d’autofiction. Il y a de grands auteurs qui ont pratiqué cet exercice avec brio (Céline, …), mais 99% de ceux qui jouent à ce jeu narcissique et autocentré sont médiocres… Disons que la littérature contemporaine se résume à l’autofiction avec un style vaguement assumé. Me concernant, je raconte des histoires que je fabrique comme un plat cuisiné : le monde est la matière première et mon instinct fait le reste.

GM : Vous êtes un partisan voire même un militant de l’édition numérique, pensez-vous qu’un écrivain puisse se faire connaître grâce au net ? « Connaître » dans le sens qu’il pourrait vivre de ses écrits après avoir publié via internet. 

LH : Je ne suis pas un militant de l’édition numérique. Je suis un écrivain qui ne considère pas l’objet, le livre, comme le centre de l’acte de lecture. L’écrit compte, qu’il soit édité sur papier ou au format eBook. Je ne comprends pas les débats stupides sur le sujet. Les écrivains sont passés de la plume à la machine à écrire puis au traitement de texte sans que cela détruise la force des textes. La médiocrité n’est pas plus importante qu’auparavant. Ecrire des romans était essentiellement le fait de grands bourgeois, de personnes privilégiées au XIXème et au XXème siècle. L’industrialisation du livre a favorisé la généralisation des auteurs en herbe. Soit ! Pourquoi pas ? Quant à en vivre, c’est du business allié à un solide réseau de connaissances. Voilà la bonne recette, que ce soit en format papier ou en numérique. Ce dernier format représente 4,5% du marché du livre aujourd’hui, alors qu’il était à zéro cinq ans plus tôt ! Chaque chose en son temps. Je suis essentiellement édité en numérique depuis 2013 : ça m’offre plus d’indépendance, de meilleures rémunérations par exemplaire vendu et la possibilité de sortir plusieurs livres par an. L’édition papier, je ne lui tourne pas le dos. Des actus viendront en ce sens. Mais l’avenir, pour moi, est le  lien direct entre « producteur » et « acheteur » et le numérique le favorise. Le format papier est magnifique mais il est gangréné par le pur business ou par l’effet de barrage commercial que pratiquent les libraires « classiques ». Ces derniers tirent la langue mais soyons clair, en banlieue, à proximité, je n’ai jamais vu un libraire indépendant ouvrir. Le numérique n’est pas le concurrent du livre papier, il est l’avenir de la diffusion littéraire, tout comme le téléchargement qui s’est substitué aux CD en une décennie. Dernier point, écrire pour en vivre, c’est une idée stupide. On écrit pour des choses bien plus profondes que ça, ou alors on n’est qu’un connard.

GM : Une question pour vous énerver : vous trouvez ça agréable de lire sur un écran ?

LH : Lire est une action pénible pour celui qui ne lit jamais. Pour un lecteur régulier, peu importe le support, si le livre envoûte, il envoûte. On lit dans les transports en commun, sur la plage, sur un banc public, dans son lit ou dans les chiottes, avec une liseuse, un smartphone, un livre en papier ou imprimé sur un rouleau de pq. Certains lisent bien sur les boîtes de céréales !

GM : Votre avis sur l’anti-édition de Marc Edouard Nabe ?

LH : Nabe, je m’en fous. Je n’ai jamais rien lu de ce type. Je n’aime pas trop ces personnes qui gâchent leur talent en s’inféodant aux pseudo-inféodés.

GM :On naît écrivain ou on le devient ?

LH : On le devient. On y travaille tous les jours, on lit beaucoup d’autres auteurs, on défonce le surmoi, on met le moi au cagibi et on observe le ça, on s’en imprègne et on le traduit en texte.

GM : Vous êtes un écrivain avec un style très particulier, incisif, corrosif. Cela vous est venu naturellement ?

LH : Comme je le disais à la question précédente, c’est surtout du boulot et le reste vient.

GM : Aimeriez-vous voir un de vos livres adapté au cinéma ? Plus largement, que pensez-vous des rapports entre la littérature et le cinéma ?

LH : Bien sûr que j’aimerais une adaptation d’un de mes livres au cinéma, mais généralement, c’est un échec. Le cinéma est un art pratiqué collectivement avec un budget obligatoire souvent conséquent. Ecrire, c’est une « plume », du « papier » et les univers internes s’interpénétrant via des vortex cérébraux multiples. Le cinéma est prisonnier par sa propre industrialisation. Cependant, tu as des mecs comme FJ Ossang qui savent construire un pont entre ces deux arts. L’important, c’est essentiellement de constater qu’un film, aujourd’hui, ne peut plus dire grand-chose. Réaliser un long métrage anarcho-terroriste est maintenant impossible. En littérature, l’exercice est toujours possible même si les gros éditeurs et la société en général font obstacle. Il y a en littérature la liberté que le cinéma ne possède pas.

GM : La forme a plus d’importance que le fond ? Mieux vaut écrire des banalités dans un style explosif ou des choses pertinentes dans un style mou ?

LH : Ecrire des « choses » pertinentes avec un style explosif, ça me va.

GM : Quel doit-être le rapport vécu/invention d’un texte ?

LH : Tout s’interpénètre. L’écrivain n’est pas un moine ascète. S’il vit parmi les chèvres dans les bois, rien ne l’empêche d’écrire un roman 100% urbain. Si on devait se limiter à notre vécu, on n’écrirait que des choses flasques… D’ailleurs, c’est le cas des écrits de la plupart des écrivains d’autofiction qui ne trouvent pas mieux que de blablater sur leurs bitures ou sur le cancer de leur grand-mère. Au fond, on s’en fout, on a tous eu la gueule de bois et des proches métastasés. Il faut de la distance avec le texte, voire de la hauteur. Il n’y a pas besoin d’entrer personnellement dans le récit. Me concernant, je n’utilise que les décors et les observations faites pour développer une fiction. J’use beaucoup de mes lectures de la presse, étant passionné de géopolitique, d’économie et d’Histoire, c’est plutôt là que je vais chercher la matière. Mon vécu ne ferait qu’appauvrir l’écriture. Pour le reste, il ne faut pas se priver d’aller chercher dans les zones du cerveau qu’on utilise rarement au quotidien. Ecrire des romans, pour moi, c’est m’exclure de l’histoire, n’être qu’un observateur ou un simple rédacteur d’un monde qui existe véritablement en-dehors de moi, parfois même en marge de notre propre univers.

GM : Les livres de Marc Lévy (j’aurais pu en citer mille autres) sont des succès. Les gens veulent-ils vraiment de la littérature ?

LH : Ils sont les auteurs de boîtes de cornflakes, de saucisses fumées et de boîte de lessive. C’est un métier honorable et rémunérateur.

GM : Si demain, vous étiez nominé pour un prix littéraire, quelle serait votre réaction ?

LH : Qu’on m’a fait passer dans un vortex et que j’ai atterri dans un monde de fadas.

GM : Les artistes sont-ils « responsables » de ce qu’ils produisent ?

LH : Ben oui, qui d’autre peut-être responsable de leurs créations ? La Police ? Le ministère soviétique de la culture qui existe en France depuis des décennies ? L’auteur est responsable de son irresponsabilité à l’encontre de la société.

GM : L’art est-il démocrate ? Populaire ? Doit-il être subversif ? Insolent ?

LH : L’art est tout ça, il peut être aussi nazi, dictatorial, violent, discriminant, pervers, … L’Art est ce qu’on en fait. Ensuite, il y a les modes et l’influence du pouvoir, de l’état sur ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Me concernant, je ne suis ni populaire ni insolent. Avant de savoir si l’art est démocrate, encore faudrait-il savoir si nous vivons vraiment en démocratie ou dans une sorte de dictature bipartite molle qui a substitué le brouhaha et les procédures judiciaires à la répression policière.

GM : Vous avez écrit plusieurs biographies (Bertrand Cantat, Manu Chao). Je trouve ça étonnant de raconter la vie d’un autre. Vous pourriez écrire les textes d’un homme politique ?

LH : Ecrire des biographies, c’est un gros travail, relativement pénible et peu rémunérateur finalement. Je laisse cet exercice aux autres désormais. Les hommes politiques sont interchangeables, assoiffés de pouvoir et complètement dédaigneux. Ils me diront qu’il y a des exceptions. Je réponds qu’ils peuvent continuer à se battre pour gouverner leurs seigneuries électorales, je me charge d’en faire les cibles de mes personnages de fiction. Etre le nègre d’un homme politique, c’est le summum de la médiocrité intellectuelle. Paraît qu’on apprend ça dans les écoles de propagande… euh… de communication, pardon.

GM : Vous n’avez aucune soif de postérité, c’est plutôt étrange pour un artiste. Égocentrique qui plus est.

LH : Rêver de postérité, c’est pour les ratés.

GM : Vous qui vous définissez comme misanthrope, l’humanité court à sa perte, ça doit vous réjouir non ?

LH : Ce qui me réjouirait, c’est de vivre la chute d’un astéroïde gigantesque qui nous pulvériserait tous ensemble. Ça enlèverait ce côté triste de la mort individuelle pendant que d’autres continuent à faire la teuf sur la planète !

GM : Quel est votre rapport à l’argent ?

LH : Je le baise, je le retourne, je l’insulte, je l’aime, je le mets dans ma poche et je le dépense. L’argent, ça sert à remplir un frigo et à payer un toit, rien de plus. Si tu en as plus, attention à la connerie dans laquelle tu risques d’être enseveli. Si tu en as moins, ta vie se transforme en mains sales fouillant les fonds de bennes à ordures ou grattant la terre en quête de nourriture. A l’échelle planétaire, l’argent est le flingue posé sur la tempe de l’Humanité. Bientôt cette dernière appuiera sur la gâchette.

GM : Le nouveau Freak wave sort bientôt, sur le corps humain, sujet très intéressant. J’ai l’impression que, paradoxalement, dans la société d’apparence dans laquelle on vit, on n’écoute pas assez son physique, on y accorde pas assez d’intérêt. Vous êtes d’accord avec ça ?

LH : Je crois surtout que nous sommes prisonniers de la gangue marketing et chimique. Nous bouffons du poison, nous nous soignons avec des médicaments toxiques. Mais on n’a pas le choix. Le seul rêve de nos sociétés, comme toutes les autres, c’est de toucher l’immortalité du bout des doigts. Bien sûr, c’est avec cette chimère qu’on commet la pire des erreurs : ne pas vivre pleinement l’étincelle qu’est la vie. Nous avons une espérance de vie d’une seconde, mais notre horloge interne est un ralentisseur psychique. Alors, j’imagine qu’à l’instant du dernier râle, on se dit qu’on a été bien con de se prendre la tête pour des conneries, surtout dans notre monde de pousseurs de caddie et de citoyens abreuvés de propagande. Notre corps, inutile de trop y être attentif, tôt ou tard, il se rappelle à nous et nous dicte la marche à suivre. C’est plutôt dans ce sens qu’il faut se l’approprier en tant qu’  « artiste ». Le corps, c’est ton ami pendant un temps, avant de devenir ton pire ennemi.

http://andy-verol.blogspot.fr/

2 commentaires:

  1. Ses mots éclatent à la gueule comme un bon Rage Against the Machine. Merci pour la découverte

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  2. Mieux vaut manger de la soupe qu'en écrire, et au moins, avec Léonel on a de la matière, et de la bonne !

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