samedi 30 avril 2016

Rouge. Mary Poppins.

Lorsque mon rédacteur en chef (qui est tyrannique et à peu près fou) m’a annoncé : en avril on sort un numéro sexuel, j’ai d’abord râlé, puis j’ai vite intégré l’idée que j’allais devoir m’y plier vu que je suis la seule à écrire pour lui, les autres ont foutu le camp, et alors sans moi, on fermerait la boutique. J’ai commencé à dessiner quelques enchevêtrements de corps, un bras ici, là la pointe d’un sein, juste au-dessus d’une turgescence, le tout emmêlé de cheveux et j’allais ajouter une fine lanière de cuir lorsque j’ai réalisé que je m’ennuyais. Peut-être que plus exactement je n’ai pas le talent d’écrire quelque chose qui ferait bander comme le fait très bien Albert Fumier, qui porte bien son nom celui-là, qui n’a jamais rendu son texte. Mais parlons de sexe, oui, finalement.

Les photographies de Rupi Kaur m’avaient agacée comme m’agace toujours l’art qui ne trouve de légitimité qu’en éventrant les tabous d’une société sur le déclin. La fille pose tachée du sang de ses règles. Cette fois j’ai bien voulu m’y arrêter
parce que souvent j’ai lu « souillée » au lieu de tachée. Et là ça me pose comme un problème. Apparemment ce sang est sale, impur, inconvenant. Est-ce le signe d’une civilisation qui renie son animalité, ou le fait d’une civilisation qui ne sait pas reconnaitre de statut légitime à la femme ? Faut-il s’excuser d’avoir ses règles ? Entre-t-on en disgrâce ? Car c’est un fait, qui parle des règles ? Elles sont soigneusement calfeutrées dans les plis gras d’une pudibonderie de pharmacie. Et pourtant... Elles reviennent tous les 28 jours.

Je ne pense pas qu’aucune fille n’ignore ses règles. Mais jamais on n’en entend parler, je veux dire en dehors du « circuit meufs ». Pourtant dès qu’on me dit Cette fille a traversé l’océan à la nage, ou tout autre héroïsme digne d’un livre des records ou d’une légion d’honneur, moi le premier truc qui me vient à l’esprit c’est : mais comment elle a fait pendant ses règles ?!  Personnellement, je pourrais bien éprouver le début d’une envie de faire le tour du monde à pied, par exemple. Mais immédiatement mon cerveau me lance une alerte, il s’emballe, envoie des feux de détresse : comment tu vas faire pendant tes règles ?? Alors qu’on n’est plus au 17ème, hein. Enfin en même temps je ne sais pas comment ça se passait, au 17ème puisqu’on n’en parle pas. Je ne me souviens pas non plus que le sujet ait été évoqué au cinéma. Ou d’avoir lu quelque chose dessus. Non plus. Attardez-vous un instant au rayon « hygiénique » pour femme : vous verrez qu’on n’y reste pas des heures. J’ai toujours l’impression qu’on achète ses tampons au marché noir : un coup d’œil à gauche puis à droite, et une fois l’objet désiré en main il disparaît promptement au fond du panier, avec la tête de quand on vient de se faire prendre en flagrant délit de pompe au contrôle de maths en 4ème B. Et attention, quand on en parle, c’est avec des pincettes. On ne dit pas j’ai mes règles, mais j’ai mes affaires. Ou mes lunes. Et si jamais vous avez la mauvaise idée d’être de mauvaise humeur, il fusera bien un « elle a ses ragnagnas ». Chaque personne qui prononce ce mot devrait écoper d’une peine de 6 ans de prison ferme et 20 000€ d’amende, s’il vous plait, pitié.

Et pourtant, les règles réunissent tous les éléments d’un best-seller : du sang, du sexe, la vie, la mort. Elles auraient pu être la muse des romantiques au 18ème. Il se passe quelque chose en toi quand tu as tes règles, aussi. Quelque chose de quasiment mystique. Avec le sang que tu perds, tu aurais pu engendrer la chair de ta chair. Nourrir ton sang de ton sang. Tu sais que tu es une terre nourricière, tu sais que c’est toi qui portes ça. Tu sens que ça te donne un violent sentiment de puissance, mais ça reste très au fond de toi, parce qu’il faut se parer d’un silence docile et policé. Ce sang chaud entre tes cuisses, vite poisseux, c’est lui qui clame ton pouvoir, c’est lui qu’on ne doit pas voir, lui qu’on ne doit pas savoir.

Et pourtant quelque chose m’ennuie encore dans la récupération de cet événement par les féministes. Cette propension à s’auto-stigmatiser, enfin comment dire : je n’en peux plus de ce féminisme pleurnichard qui ressemble plus à un mâle émasculé qu’à une femme accomplie. Je n’en peux plus que le ELLE se proclame encore féministe et qu’on en soit presqu’à le remercier d’avoir libéré la femme alors qu’il la contraint à de plus vilaines servitudes encore que de passer l’aspirateur deux fois par semaine. Ce prospectus géant est payant en plus de ça. Ah elles peuvent passer de belles vacances, les « journalistes » du ELLE !

Mary poppins

1 commentaire:

  1. En effet, je n'ai pas bandé mais c'est un très bon article. De plus, il m'a permis de comprendre enfin pourquoi je suis souvent seul au rayon tempax de Auchan. A.Fumier

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