mardi 14 avril 2015

Ad vitam æternam. Mary Poppins.

Oh mon dieu. En une semaine, au moins douze personnes m’en ont parlé, et j’ai été obligée de voir que la presse relayait l’info. Il n’est donc plus exclu que l’homme soit immortel, et prochainement en plus de ça. C’est-à-dire que je risque d’assister à cette très vilaine tragédie. J’imagine qu’ils sont contents, les petits rats de laboratoire, les apprentis-chimistes à qui on devrait couper les mains et la langue. Comme le dit ma mère, ils feraient mieux d’inventer un truc pratique pour ouvrir l’emballage des pâtes. Mais non, ils ont vu plus haut, ceux-là. Ils se sont dit tiens, on va faire un truc que personne n’a fait. Bon, en vrai, ça part souvent d’un bon sentiment. Et comme d’habitude, ça va dégénérer.  Je revois l’histoire d’Alfred Nobel, qui, en voulant rendre la nitroglycérine plus maniable, met au point la
dynamite. Super. Grâce à lui, on peut tuer plus de monde d’un seul coup. Et, ahah, pour ne pas laisser accéder l’image d’un marchand de mort à la postérité, il a sacrifié sa fortune à la création du Prix Nobel. J’ai bien envie de parler des travaux de Marie Curie qui de près ou de loin, accouchent de la bombe atomique, cette monstruosité qui donne des orgasmes aux pires dictatures, mais ça me rend neurasthénique.

Il y en a qui trépignent déjà, persuadés que l’avenir se dessine sous la forme d’interminables jouissances sans cesse renouvelées. C’est un peu comme quand on imaginait que les machines remplaceraient l’homme au travail, et que pendant ce temps on irait boire des bières en regardant le soleil couchant. Résultat, les machines travaillent bien, un peu gourmandes en combustibles peut-être, mais surtout, elles ont délesté les gentils petits chefs d’entreprise d’une main-d’œuvre pleurnicharde et coûteuse en offrant une rentabilité sans concession. La main d’œuvre, elle, elle pointe au Pôle Emploi. Le progrès, oui d’accord, mais il y a toujours quelqu’un qui l’avale en premier pour lui faire cracher ses millions aux dépends de ses prochains. Alors l’immortalité, ça ressemble déjà à un mauvais film SF. On sait déjà que seule une part de la population profitera de ces manipulations de laborantins, qui pourra asservir encore et toujours le reste de l’humanité toute entière. Je vous le dit tout de suite, ce ne sont pas les plus gentils qui vont rester.

Non mais et puis, quand on aura en tête qu’on a l’éternité devant nous, comment ce sera de mourir dans un crash d’avion, sous les roues d’un chauffard, par mégarde ou par hasard ? Parce que je ne pense pas qu’on prévoit de réchapper d’un écrabouillement. Est-ce qu’on se barricadera pour ne pas forcer le destin ? Est-ce que plutôt que vivre, on essaiera de ne pas mourir ? Mais... C’est pas déjà assez compliqué comme ça ?

En même temps, c’est très drôle : l’homme semble mettre un soin particulier à se pourrir la vie en empoisonnant son existence et celle des autres, mais, sous le coup d’un ironique instinct primaire, il s’acharne fébrilement à l’éterniser. S’il possédait une once de politesse, il aurait au moins le bon goût de s’effacer dignement sans s’appesantir, voir même de s’éteindre doucement, mais sûrement. Quelle angoisse de l’imaginer survivant à la morsure du temps, asseyant son empire au firmament d’une éternité sans cesse renouvelée...

Heureusement, à l’heure qu’il est, quelqu’un barre efficacement la route aux ambitions des apprentis sorciers.  Le cerveau humain, beaucoup trop complexe, freine l’enthousiasme et les espérances des laboratoires. Le cœur pourrait battre ad vitam æternam, la peau se régénérer jusqu’à la fin du monde, mais impossible de frelater le cortex cérébral. Moi, ça me rassure de savoir que l’homme possède en lui la thèse et l’antithèse de son immortalité, exactement placées au même endroit.

Mary Poppins.

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