mercredi 16 septembre 2015

Les mots d'Hello !

Après les mots d’Artaud, les mots de ce génie mystique que fut Ernest Hello !

[...]

L’homme médiocre dit qu’il y a du bon et du mauvais dans toutes choses, qu’il ne faut pas être absolu dans ses jugements, etc., etc.
Si vous affirmez fortement la vérité, l’homme médiocre dira que vous avez trop de confiance en vous-même. Lui, qui a tant d’orgueil, il ne sait pas ce que c’est que l’orgueil ! Il est modeste et orgueilleux, soumis devant Voltaire et révolté contre l’Église. Sa devise, c’est le cri de Joab : Hardi contre Dieu seul !
L’homme médiocre, dans sa crainte des choses supérieures, dit qu’il estime avant tout le bon sens ; mais il ne sait pas ce que c’est que le bon sens. Il entend par ce mot-là la négation de tout ce qui est
grand.
L’homme médiocre peut très bien avoir cette chose sans valeur qu’on appelle, dans les salons, de l’esprit ; mais il ne peut avoir l’intelligence, qui est la faculté de lire l’idée dans le fait.
L’homme intelligent lève la tête pour admirer et pour adorer ; l’homme médiocre lève la tête pour se moquer : tout ce qui est au-dessus de lui lui paraît ridicule, l’infini lui paraît néant.
L’homme médiocre ne croit pas au diable.
L’homme médiocre regrette que la religion chrétienne ait des dogmes : il voudrait qu’elle enseignât morale toute seule ; et si vous lui dites que sa morale sort de ses dogmes, comme la conséquence sort du principe, il vous répondra que vous exagérez.
Il confond la fausse modestie, qui est le mensonge officiel des orgueilleux de bas étage, avec l’humilité, qui est la vertu naïve et divine des saints.
Entre cette modestie et l’humilité, voici la différence :
L’homme faussement modeste croit sa raison supérieure à la vérité divine et indépendante d’elle, mais il la croit en même temps inférieure à celle de M. de Voltaire. Il se croit inférieur aux plus plats imbéciles du dix-huitième siècle, mais il se moque de sainte Thérèse.
L’homme humble méprise tous les mensonges, fussent-ils glorifiés par toute la terre, et s’agenouille devant toute vérité.
L’homme médiocre semble habituellement modeste ; il ne peut pas être humble, ou bien il cesse d’être médiocre.
L’homme médiocre adore Cicéron, aveuglément et sans restriction ; il ne l’appelle pas par son nom : il l’appelle l’orateur romain. Il cite de temps en temps : ubinam gentium vivimus ?
L’homme médiocre est le plus froid et le plus féroce ennemi de l’homme de génie.
Il lui oppose la force d’inertie, résistance cruelle ; il lui oppose ses habitudes machinales et invincibles, la citadelle de ses vieux préjugés, son indifférence malveillante, son scepticisme méchant, cette haine profonde qui ressemble à de l’impartialité ; il lui oppose l’arme des gens sans coeur, la dureté de la bêtise.
Le génie compte sur l’enthousiasme ; il demande qu’on s’abandonne. L’homme médiocre ne s’abandonne jamais. Il est sans enthousiasme et sans pitié : ces deux choses vont toujours ensemble.
Quand l’homme de génie est découragé et se croit près de mourir, l’hommé médiocre le regarde avec satisfaction ; il est bien aise de cette agonie ; il dit : Je l’avais bien deviné, cet homme-là suivait une mauvaise voie ; il avait trop de confiance en lui-même ! Si l’homme de génie triomphe, l’homme médiocre, plein d’envie et de haine, lui opposera au moins les grands modèles classiques, comme il dit, les gens célèbres du siècle dernier, et tâchera de croire que l’avenir le vengera du présent.
L’homme médiocre est beaucoup plus méchant qu’il ne le croit, et qu’on ne le croit, parce que sa froideur voile sa méchanceté. Il ne s’emporte jamais. Au fond, il voudrait anéantir les races supérieures : il se venge de ne le pouvoir pas, en les taquinant. Il fait de petites infamies, qui, à force d’être petites, n’ont pas l’air d’être infâmes. Il pique avec des épingles, et se réjouit quand le sang coule, tandis que l’assassin a peur, lui, du sang qu’il verse. L’homme médiocre n’a jamais peur. Il se sent appuyé sur la multitude de ceux qui lui
ressemblent.

Ernest Hello ; L’Homme : la vie, la science, l’art ; L’homme médiocre.
Texte en intégralité ici.

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