mercredi 16 septembre 2015

Low cost. Mary poppins.

L’été meurt un peu plus chaque jour, et j’espère qu’il vous a été clément. Que les larmes versées sur la mort du lion Cecil n’ont pas gâché votre barbecue du vendredi soir. Que vous ne serrez pas trop les fesses en voyant venir les migrants à vous et que vous continuez gentiment à faire vos emplettes dans les supermarchés pour soutenir les agriculteurs. Bref, c’est la rentrée et rien n’a changé. À chaque fois que je pars en vacances, j’espère revenir dans de meilleures dispositions. Et pourtant, une fois encore, j’ai pu vérifier que finalement, rien ne sert de tenter d’échapper à la vraie vie, elle reprend toujours le dessus.

Pour partir, j’avais réservé une place à bord du OuiGo, le service low-cost de la SNCF. Un TGV rempli à ras bord. Et là, une chose m’a frappée. Par un effet de mimétisme assez triste, les usagers du low-cost passent eux aussi en mode low-cost. Sous prétexte qu’on a payé moins cher, imposons-nous un train de vie de
déporté. Dans le OuiGo, on parle plus fort, on laisse les enfants brailler avec indifférence, on passe ses appels à voix très haute. Il flotte un parfum de médiocrité, préférée à toute forme de civilité ou d’élégance. Ça me fait penser à tous ces abrutis qui clament que la musique classique est un ghetto pour la bourgeoise. Mais tu peux télécharger Bartók au lieu de te gaver des daft punk, Ducon, rien ne t’interdit d’être curieux. Cette capacité à se cloitrer sous son propre plafond de verre et puis de s’y complaire, cette servitude volontaire à l’effet de classe me rendent irascible, je descends du train en me jurant de ne plus jamais y remonter.

Pour revenir, j’avais choisi un vrai TGV. J’allais donc probablement voyager dans de meilleures conditions. Ahah. 1h10 de retard au départ du train. Il n’est pas tout à fait impensable d’épiloguer des heures sur les travers de la SNCF qui pourtant ne devait ce retard qu’à de fortes intempéries. L’ambiance était encore détendue, malgré une abomination de petite fille extrêmement bruyante. Passagers et bagages débordaient de partout, mais il subsistait encore quelque chose de vivable dans ce train. Ma voisine lisait un livre en face de moi, en discutant de façon anodine avec sa fille. Mon voisin de droite lisait aussi. Les gens qui lisent éveillent toujours un élan de bienveillance en moi : le calme plat.

Non, là où c’est devenu beaucoup plus... drôle, c’est lorsqu’alors que le train, qui avait accumulé une ½ heure de retard supplémentaire, rapport au fait qu’à chaque station les gens se bousculent comme des moutons pour entrer dans la bergerie un peu comme si leur vie dépendait du fait d’arriver le premier à s’asseoir en ne laissant descendre personne, le train, donc, s’est arrêté en pleine voie juste avant Valence. Sur le coup, rien, à peine un frémissement. Mais quand on a annoncé qu’une alerte à la bombe bloquait la gare de Valence et tout le trafic, il y a eu comme un mouvement d’impatience. C’est à ce moment-là que ma voisine d’en face a commencé à secouer ses cheveux mal décolorés. Vous avez remarqué comme à chaque fois que survient un empêchement, il devient nécessaire d’en trouver un responsable. Et là, c’est tombé sur la chef de bord qui, en plus d’être seule à bord d’un TGV de 18 voitures, était une toute petite femme gringalette. Autant dire une proie facile. Mais attention, on a tout de suite eu l’impression que ma voisine mal méchée allait se battre contre Goliath. D’abord, elle a commencé à râler doucement, parce qu’elle ne pouvait pas charger son IPhone. Et puis rapidement, elle en est venue au fait qu’elle avait envie de fumer. Quand elle a compris que d’autres dans le wagon en avaient aussi envie, elle en a carrément fait une cause nationale. Ah non, « ils » n’allaient pas l’empêcher de fumer ! Bon sang, j’avais l’impression que la SNCF était devenue la branche armée du Hamas, qu’on nous terrorisait avec des messages aussi virulents que « Ne tentez pas de sortir sur les voies ». Ah elle jurait maintenant qu’elle allait y aller, elle, sur la voie ! On n’allait pas l’empêcher d’être libre ! Après un ¼ d’heure de ce discours, et je vous jure que c’est très long, sa fille lui fait remarquer qu’elle n’a qu’à y aller. Ah ouais, et bien elle se lève, majestueuse sous ses cheveux de paille. Et puis elle revient l’instant d’après, penaude et silencieuse. Ça s’ouvre pas. Bon apparemment, ça n’est pas facile-facile d’être un révolutionnaire aujourd’hui, ça nécessite des outils. Il faut dire qu’entre-temps on avait été frôlés par les TGV qui ne s’arrêtaient pas à Valence, eux. Alors peut-être que ça n’a plus été aussi important de sortir du train. Elle a suivi le mouvement de ceux qui allaient fumer dans les toilettes ; on a senti qu’au fond, elle était bien une vraie rebelle.

Quand elle est revenue, surmontée de ses cheveux jaunes, elle a refermé son livre. Et là, comme s’il existait une loi qui dit que la médiocrité est un évangile à suivre avec foi, elle a dévoilé la couverture du dernier livre de Guillaume Musso. Bon, effectivement, il me reste toujours un fond de bienveillance pour les gens qui lisent. Mais qui lisent des livres. Oui, alors évidemment, c’est facile de taper sur ce genre de... d’aut... d’écriv... de personnes, mais sans déconner, c’est quand même douloureux de se dire qu’on vit à une époque où les libraires ne subsistent que grâce à ce genre de livres. Tiens je préfère encore les gens qui adorent Houellebecq.

Bon à partir de là, ça a été comme dans un film français, je connaissais la fin d’avance, je savais tout ce qu’elle allait dire, tout ce qu’elle allait faire, car une personne low-cost est une personne transparente, absolument inodore, ce genre de personne persuadée d’être du bon côté, de bien penser, qui ne se pose que des questions terriblement insipides, du genre qui pense que BHL est intelligent parce qu’il utilise des mots qu’elle ne comprend pas, le genre de personne qui revendique sa médiocrité comme une forme de simplicité ou d’authenticité, qui cache sa mesquinerie et sa méchanceté dans les replis de son orgueil, de son amour d’elle-même, le genre qui aime la lumière aussi bêtement qu’un papillon de nuit, du genre qui donnerait sa chemise à des pauvres gens heureux. Quand on lui parle, on se sent aussi à l’étroit que dans un OuiGo.

Autant dire que mon spécimen à racines apparentes ne m’a pas déçue. Lorsque la chef de bord est revenue nous annoncer qu’elle n’avait pas plus de nouvelles que ce qui avait été annoncé dans les haut-parleurs, qu’un problème technique empêchait les prises électriques de fonctionner, et qu’elle n’avait pas de formulaire de réclamation mais qu’on en trouverait en arrivant, j’ai cru qu’elle allait se faire dépecer. Cheveux-jaunes s’est mise à brailler à tort et à travers, lui reprochant ce sur quoi l’autre n’avait absolument aucune emprise, sûre de son bon droit, elle commençait même à se faire des partisans. Devant tant de bêtise, la chef de bord a claqué la porte. Alors là, tollé général. Ah, on allait la faire virer, celle-là ! Elle n’aurait bientôt plus de travail, tant pis pour elle ! Il aurait peut-être fallu qu’elle tire le train avec ses dents, ou alors qu’elle désagrège le bagage oublié en gare de Valence depuis son compartiment, qu’elle permette à tous ces bovins de recharger leurs téléphones en se les plantant dans les fesses, ils se seraient éventuellement radoucis. Mais là, quelle incompétence ! Évidemment, les sarcasmes se sont rapidement emparé de son physique fluet, de ses lunettes, enfin bref, la grande classe. Mon épouvantail jubilait.

Et puis le train est reparti, il est arrivé à Valence. Ma voisine low-cost était la première derrière la porte, clope à la main, parce que bien sûr elle fait partie des gens qui se lèvent une ½ heure avant l’arrivée du train pour rester connement bloquée debout entre les sièges. Quand je suis descendue, elle était en train de raconter comment elle allait tenir la chef de bord en arrivant à Paris pour qu’un autre low-cost lui fracasse la tête. Oh je ne me suis pas inquiétée, la bassesse et la lâcheté sont propres aux gens low-cost. J’ai pu respirer, enfin. Et je n’ai pas rempli de formulaire de réclamation. Un peu par compassion pour la chef de bord, beaucoup par lassitude. L’année prochaine, je partirai sur une île déserte. Avec mon cœur et puis c’est tout. Je ne voyage plus en low-cost.

Mary Poppins.

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