mardi 27 juin 2017

Le médecin révolutionnaire

Camarades,
cette simple réunion, une de plus parmi les centaines de réunions que le peuple cubain organise pour fêter jour après jour sa liberté et le progrès que font toutes ses lois révolutionnaires, les progrès réalisés dans la voie de l’industrialisation totale, cette réunion a un intérêt pour moi.
Presque tout le monde sait que j’ai commencé par être médecin il y a bien des années. Et lorsque j’ai commencé la médecine, quand j’ai commencé mes études, la plupart des idées que j’ai aujourd’hui, idées révolutionnaires, étaient absentes de mes idéaux. Je voulais réussir, comme tout le monde veut réussir, je rêvais d’être un chercheur connu, je rêvais de travailler inlassablement pour trouver quelque chose qui puisse, finalement, être mis à disposition de l’humanité, mais qui, pour le moment, représentait une réussite personnelle. J’étais, comme nous
le sommes tous, un produit de son milieu.
Après avoir terminé mes études, pour des raisons particulières et aussi pour des raisons propres à mon caractère, j’ai entrepris de voyager à travers l’Amérique, je l’ai parcouru toute entière. A part Haïti et Saint-Domingue, j’ai visité en quelque sorte tous les autres pays d’Amérique. Et en raison des conditions dans lesquelles j’ai voyagé, d’abord comme étudiant et ensuite comme médecin, j’ai connu de très près la misère, la faim, les maladies, l’impossibilité de soigner un enfant malade faute de moyens, l’abrutissement provoqué par la faim et les châtiments continuels au point que le fait, pour un homme, de perdre son fils soit un accident sans importance comme cela arrive souvent chez les classes déshérités de notre patrie américaine. Et je me suis rendu compte à ce moment-là qu’il y avait quelque chose qui était aussi important pour moi que de devenir un chercheur célèbre ou de faire un apport important à la science médicale, et c’était avant tout d’aider les gens. Mais je continuais à être, comme nous continuons tous à l’être, le produit de mon milieu et je voulais aider ces gens par mon effort personnel. J’avais déjà beaucoup voyagé, je me trouvais alors au Guatemala, le Guatemala d’Arbenz, et j’ai commencé à rédiger quelques notes pour régler la condition du médecin révolutionnaire. Je commençais à chercher ce qui est nécessaire pour être un médecin révolutionnaire. Mais survint l’agression, l’agression déchaînée par la United Fruit, le département d’Etat, Foster Dulles - d’ailleurs, tout cela, c’est en réalité la même chose - et le fantoche qu’ils ont mis en place s’appelait Castillo Armas.
[...]
Et les questions précédentes se posent à nouveau. Comment faire efficacement un travail de bien-être social, comment faire pour adapter l’effort individuel aux besoins de la société ?
Que chacun de nous se remémore un peu sa vie, qu’il se souvienne de ce qu’il a fait et pensé, en tant que médecin ou dans l’exercice de n’importe quelle fonction de la santé publique, avant la révolution. Et qu’il le fasse avec un profond esprit critique, et il arrivera à la conclusion que tout ce que nous sentions et pensions à cette époque déjà révolue doit être classé et qu’il faut créer un nouveau type humain. Et si chacun de nous est, en ce qui le concerne, l’architecte de ce nouveau type humain, il sera beaucoup plus facile pour tous de le créer et il représentera le nouveau Cuba. Il est bon que vous vous imprégniez de cette idée, vous qui êtes ici présents, qu’un nouveau type humain est en train de naître à Cuba ; on ne peut pas bien s’en rendre compte dans la capitale, mais on le rencontre dans tous les coins du pays. Ceux d’entre vous qui ont été le 26 juillet à la Sierra Maestra ont vu deux choses qui leur étaient absolument inconnues : une armée avec la pioche et la pelle, une armée dont la grande fierté est de défiler dans les fêtes patriotiques de la province d’Oriente avec la pioche et la pelle sur l’épaule tandis que les camarades miliciens, eux, défilent avec le fusil.
Mais vous avez sans doute vu aussi des enfants dont la constitution physique pourrait laisser supposer qu’ils ont huit ou neuf ans alors qu’ils en ont pourtant presque tous treize ou quatorze. Ce sont les authentiques fils de la Sierra Maestra, enfants de la misère et de la faim sous toutes leurs formes, ce sont les enfants de la sous-alimentation. Dans ce petit Cuba, avec ses quatre ou cinq chaînes de télévision, avec ses centaines de stations de radio, avec tous les progrès de la science moderne, quand ces enfants sont venus pour la première fois, de nuit, à l’école et qu’ils ont vu la lumière électrique, ils ont dit que les étoiles étaient très basses ce soir-là. Et ces enfants, que certains d’entre vous ont dû voir, étudient dans ces écoles collectives non seulement les premières lettres de l’alphabet, mais aprennent un métier et même aussi la difficile science d’être un révolutionnaire.
Ce sont là les nousveaux types d’humains qui sont en train de naître à Cuba. Ils naissent dans des points isolés, dans des endroits éloignés de la Sierra Maestra, et aussi dans les coopératives et dans les centres de travail. Et tout cela est intimement lié au thème de notre entretien d’aujourd’hui, à l’intégration du médecin comme de tout autre travailleur de la médecine au mouvement révolutionnaire ; car cette tâche, la tâche d’instruire l’armée, la tâche de partager les terres des propriétaires qui ont fui entre ceux qui l’ont travaillée tous les jours à la sueur de leur front sans jamais en récolter les fruits, c’est la plus grande oeuvre de médecine sociale qui ait jamais été faite à Cuba.
Le principe sur lequel doit s’appuyer le fait de soigner les maladies, c’est de créer un corps robuste, pas de créer un corps robuste par le travail artistique d’un médecin sur un organisme faible, mais de créer un corps robuste avec le travail de toute la collectivité sur toute cette collectivité sociale. Et la médecine devra devenir un jour la science qui préviendra les maladies, qui guidera le public et l’obligera à remplir ses devoirs médicaux, et qui interviendra uniquement en cas d’extrême urgence pour réaliser une intervention chirugicale ou quelque chose qui échappe aux caractéristiques de cette nouvelle société que nous sommes en train de créer.
Le travail qu’on demande aujourd’hui au ministre de la Santé publique, à tous les organismes de ce genre, c’est d’organiser la santé publique de telle sorte qu’elle puisse apporter son assistance au plus grand nombe de personnes possible pour prévenir tout ce qu’on peut prévoir comme maladies et pour guider le peuple.
Mais pour cette tâche d’organisation, comme pour toutes les tâches révolutionnaires, on a essentiellement besoin de l’individu. La révolution ne tend pas, comme le prétendent certains, à standardiser la volonté collective, l’initiative collective, mais bien au contraire à libérer les possibilités individuelles de l’homme. La révolution, en même temps, oriente ces possibilités. Et notre tâche d’aujourd’hui, c’est d’orienter les possibilités créatrices de tous les médecins vers les tâches de la médecine sociale. Nous sommes à la fin d’une ère, et pas seulement ici, à Cuba. Bien qu’on dise le contraire et que quelques-uns le croient, les formes du capitalisme que nous avons connues et du milieu dans lequel nous avons été élevés, où nous avons souffert, sont en train de prendre un coup dans le monde entier.
[...]

Che Guevara, Discours (extrait) prononcé le 19 août 1960 à l’ouverture d’un cours de formation patronné par le ministère de la Santé publique à La Havane

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