mardi 27 juin 2017

La fin du politique

« C’est la force perverse des cyniques et des corrompus ; ils font toujours plus d’obligés que les vertueux. »
Jacques de Saint Victor, Via Appia

Le dauphin de Chine, le grizzli mexicain, le rhinocéros noir ont disparu de la surface de la Terre, et il me semble regrettable que l’animal politique ne les suive pas au tombeau : il s’accroche, le fourbe, présentant même la très extraordinaire particularité d’être à la fois moribond et tout sautillant. Il ne peuple qu’un monde croulant, moisissant sur pied, vieux –mais pas vieux qui aurait amassé une sagesse au fil du temps, non : vieux qui aurait amassé l’oseille, plutôt- et qui tente désespérément de nous faire croire qu’il est le seul envisageable, le seul viable, le seul vivable. Ils coulent en méprisant encore ceux qu’ils emportent avec eux. Ils ont saboté le navire, et te font croire qu’ils nous mènent au Nouveau Monde. Oh je ne m’appesantirai pas sur les circonvolutions de la campagne présidentielle ou des législatives, d’autres l’ont fait très lourdement, et c’est déjà bien assez difficile d’y échapper pour vouloir en resservir une plâtrée. En vérité je ne suis pas plus écœurée par les scandales à grandes audiences médiatiques ou par les grandes joutes télévisuelles que par les petites réunions de conseils municipaux ou les distributions de tracts sur la place publique.

C’est comme si on tentait de ne pas comprendre qu’ils ne servent plus à rien. Enfin ils font quand même vivre quelques agences de com’. Ils servent aussi, comme de dociles petites marionnettes, les intérêts de types qui n’ont rien à voir avec vous et moi. Des trucs qui nous dépassent. Des trucs qu’on ne peut pas comprendre, car ils ont tellement opacifié le système communautaire que quand tu construis une maison, tu édites un livre de 600 pages pour le notaire. Tout est devenu nébuleux, non ? Ces administrations, ces découpages, ces labyrinthes cadenassés à quadruples tours. Et cet air condescendant, déchet d’une tradition paternaliste rance, quand on essaie de pénétrer leur territoire, de poser une question...

On essaie de me faire croire qu’on vit la fin d’une vieille classe politique, et qu’elle se réinvente déjà dans la jeunesse. Jeunesse ? Renouveau ? Je rouvre les yeux et je vois Macron, je vois Wauquiez, et ça me donne la nausée, des sueurs froides. Macron, ce produit marketé comme un pot de Nutella : on sait bien que c’est de la merde, mais avec de belles images, de beaux discours, un bel emballage, il plaira à la ménagère de moins de cinquante ans, c’est sûr. Le seul changement que je pressens, c’est que les prochains sortiront d’écoles de commerce plutôt que de l’ENA. Réjouissant. Ailleurs j’entends qu’il faudrait redorer la politique de proximité, relégitimiser les petites administrations, décentraliser le pouvoir, comme si les plus petits étaient plus gentils... Ahahah. Je suis née dans un village d’à peine 2000 habitants, où la moindre orgie de moules-frites voyait fleurir son lot d’élus, députés, sous-préfets, de prétendants, de promis, de postulants, flanqués de courtisans, de courtisanes, flatteurs, lèche-culs et soupirants, qui se bousculaient au moindre crépitement de flash des -ça me fait toujours mal de l’écrire mais je suis obligée : journalistes, le sourire carnassier, la poignée de main trop forte... Il est né là-bas, mon dégoût de l’être politique, dans une toute petite commune de province, où même s’il ne fallait régner que sur deux mille âmes, c’en était encore trop jouissif. Mais qu’elles doivent être belles, les compensations du pouvoir, pour qu’ils s’y précipitent avidement ! Ils se rêvent en César, ils devraient être Périclès.

On est beaucoup trop gentils avec nos gouvernements. En y regardant bien, la plus élémentaire des politesses nous porterait aux portes de leurs palais, nous pousserait, pour l’amour de la bienséance, à leur trancher le cou, à leur mettre le nez dans la merde avec la bouche ouverte, qu’ils en bouffent et puis que juste après, on n’en entende plus parler. On aura brûlé leurs voitures avec chauffeurs, on se sera repu de leurs cantines en écrasant leurs caviars aux moquettes d’alpaga. On danserait sur leurs concubines et leurs putains en vomissant leurs champagnes trop chers. On crèverait, les piétinant, les soies et les ors de leur république de merde. Une révolution, en appellent certains. Las, je ne crois et n’espère en aucune révolution. La révolution, c’est une religion, un parti politique, un fascisme. Elle est violente et n’a jamais servi qu’à installer d’autres oligarchies, ou à servir les pouvoirs malfaisants qui la brandissent comme un épouvantail à leurs sujets.

La politique, c’est comme la religion catholique, le communisme, ou la Sécurité Sociale : dans l’idée c’est fabuleux, dans les faits, c’est désastreux. À mes yeux, un seul coupable : l’humain. Je m’étonne qu’on abandonne encore notre sort à nos semblables, à des nous-mêmes ni plus cupides, ni plus avides, ni plus... vides. Aveuglément, nous pensons servir de grandes valeurs en votant, mais, à moi, voter me laisse la même sale impression de vide que lorsque je signe une pétition, le même sentiment coupable d’avoir voulu me donner bonne conscience en pensant faire le bien à moindre coût, avachie dans mon canapé. Voter, c’est abandonner ma citoyenneté à un autre, me délester de mon véritable devoir de citoyenne. Je m’allège de toute implication politique, en plus de nourrir cette bouffonnade.
Oh pour vous endormir on éditera toujours pour vous de jolis textes. La Déclaration d’Indépendance des États-Unis a été rédigée alors que les esclaves crevaient de leurs cauchemars, la Déclaration des droits de l’Homme est née de la même fange que la Terreur.
On nous agite le chiffon rouge bien lavé, bien repassé, joliment brodé, du Front National sous les yeux pour que nous allions voter ? Non merci. Peut-être qu’au fond je suis un peu... snob. Peut-être qu’au fond je veux juste ne pas me mêler à cette foule crotteuse qui se réunit le samedi soir devant le médiocre Laurent Ruquier et ses pires que médiocres chroniqueurs, pensant assister à de grandes orgies intellectuelles. Ils iront voter ceux-là, c’est sûr : j’ai les oreilles pleines de leurs réflexions profondes comme l’eau de leurs baignoires. Non non non je ne tremperai pas, je ne tremperai plus mes pinceaux dans cette eau sale. De toute façon la classe politique a tellement dénaturé son exercice que nous ne vivons pas en démocratie comme on nous le rabâche, mais sous le joug d’une oligarchie plébiscitaire(1). Tu m’étonnes qu’on bannisse le latin et le grec ancien des cours d’école : on risquerait de comprendre ce qui nous arrive !

Si ça ne tenait qu’à moi, je destituerais toute humanité politique. Plus de sinistres ministres ni de courtisanerie d’antichambre, ils seraient remplacés par des machines. Si l’on doit être discipliné, je préfère m’en remettre aux mathématiques, à la rigueur d’une intelligence artificielle qui calculerait infailliblement le bien pour tous. Elle ne reconnaîtrait ni l’intimidation, ni la flatterie, ni la médiocrité. Elle ne serait faite ni d’appétit, ni de convoitise, ni de rêve de gloire ou de grandeur, elle n’aurait pas d’ami, pas d’enfant, pas d’instinct, pas de cœur. Elle trancherait dans le vif. Pas de dissertation, pas de lobbying, pas de conflit d’intérêt. Comme la guillotine a soulagé les condamnés en leur offrant une mort nette et sans bavure, elle serait un mal nécessaire à la démocratie qui reprendrait son sens et, souveraine, recoifferait ses lauriers.

La disparition de toute humanité politique aurait pour très heureuse et immédiate conséquence la mise à mort d’un système médiatique qui nourrit toute une nuée de mouches, tout un attroupement de nuisibles, chroniqueurs, éditorialistes, qui sous couvert de liberté de ton servent allègrement et sans vergogne les fonds d’investissement qui les emploient, tout un bourdonnement sans fin d’inepties et de figures de style ampoulées, de commentaires et d’analyses stériles d’autant plus répréhensibles qu’il me semble qu’on paie ces gens. C’est-à-dire que leur salaire, probablement plus gras que le vôtre, couronne la sueur de leur insignifiance quand on peine à payer les infirmières. L’argent circule mal, dans ce pays. Et ça, c’est un problème politique, de vraie politique.

 En attendant, car je ne suis pas certaine qu’on développe une intelligence artificielle à de si philanthropiques finalités, en attendant longtemps, donc, il conviendrait de nous réapproprier nos droits et nos devoirs, il conviendrait de sortir de notre longue léthargie, délaisser les médias de masse, cultiver notre esprit d’analyse. Voyez plus loin que votre perche à selfies, levez-vous, reprenez possession de votre force de travail. Car si le monstre politique a pris tant d’ampleur, tant de crédit, c’est peut-être qu’on s’est laissé rester médiocres : il peut toujours naître un Montaigne, un La Boétie, une Yourcenar, si les millions qui les entourent sont tout petits, on ne saura que les épingler pour l’éternité dans les dictionnaires de citations. Enfin, j’ai envie de dire : sortez-vous les doigts du cul, et vous me pardonnerez cette vulgarité, car elle parle bien mieux que moi.

Mary Poppins

(1)Voir l’entretien de l’historien Vincent Azoulay in Geo Histoire d’octobre-novembre 2014.

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